mardi 22 avril 2014

Jazz Supreme par Raphaël Imbert



Jazz Supreme : Initiés, mystiques & prophètes

Raphaël Imbert

De façon parfaitement justifiée, la parution de ce livre fait grand bruit. Et pour cause.
Les livres qui parlent de jazz ne sont pas légion et, pour la plupart, ne font qu’approfondir des sujets déjà traités : biographies de musiciens, études de styles, analyses… Et soudain paraît l’ouvrage outsider. Si surprenant qu’on a l’impression de n’avoir (presque) rien lu avant lui.
« Philosophie imaginaire », tel est le nom de la collection qui, aux éditions de l’Éclat, publie Jazz Supreme, de Raphaël Imbert. Pas si imaginaire que ça, finalement, quand on sait que cet ouvrage est le fruit d’une dizaine d’années de travail. Et grâce à cela, Imbert endosse la respectable chasuble du chercheur par-dessus son bleu de musicien.
Initiés, mystique et prophètes est un titre qui, à première vue, me terrasse d’ennui. Mais, en préambule, l’auteur se positionne comme agnostique et explique sa démarche. Je cède donc à la curiosité.
L’élément « spirituel » dont il est question dans la première partie, dépasse largement les préoccupations de fidèles du dimanche. Il s’agit en fait de l’étude presque moléculaire de la séquence ADN du jazz, que ces racines, celles qui ont germé à la Nouvelle-Orléans, portent dans leur sève. Les processions funéraires, le mystère, le secret, le syncrétisme des religions des maîtres blancs, du vaudou, tout cela circule en permanence. Cette spiritualité a été alimentée au fil des siècles par la nécessité de communautarisme, notamment à cause de l’esclavage ou, plus tard, de la ségrégation. Et alors même que le jazz s’épanouit dans les lieux de mauvaise fréquentation et de petite vertu, sa dimension spirituelle s’en trouve renforcée. Elle est personnelle, intime, fière. De plus, c’est le gage, pour de nombreux musiciens, que cette musique est bien la leur, qu’elle est d’essence particulière et ne peut être comprise que par des esprits éclairés.
La seconde partie dévoile, sans aucune volonté de sensationnalisme, les relations entre la franc-maçonnerie et les musiciens afro-américains. C’est, pour moi en tout cas, une découverte. Ce genre de sujet ressemble tant aux marronniers des magazines privés d’imagination qu’il fallait de sérieux arguments pour motiver la lecture. C’est la partie la plus riche en détails et informations. Il faut admettre que l’univers des loges n’est pas simple à comprendre, mais on s’y fait petit à petit. Certes, il y a eu des musiciens francs-maçons et oui, l’auteur donne des noms. Mais ce qui est passionnant, c’est la spécificité de ces loges, leur histoire, le rôle qu’elles ont joué dans la lutte contre l’esclavage, dans les relations sociales, etc.
Enfin, cerise sur le gâteau, Raphaël Imbert s’offre une analyse des différentes version de « My Favorite Things », bluette signée Rogers-Hammerstein et que Coltrane a transformée en hymne à l’histoire du jazz, au saxophone soprano. Un monument d’improvisation, une œuvre de tension, declimax, de souffle.
Fondateur de la compagnie Nine Spirit, saxophoniste lui-même, Raphaël Imbert a déjà abordé ce type de recherche, mais en tant que musicien. Il a notamment enregistré la fameuse suite Bach Coltrane, où les deux musiques sont liées et où, bien entendu, la dimension spirituelle, religieuse, est omniprésente. Et il a récidivé avec un répertoire similaire, mais cette fois autour de Mozart et Ellington (Heavens – Amadeus & The Duke). C’est donc en spécialiste qu’il propose cette plongée au cœur même de l’œuvre de Coltrane, musicien emblématique du jazz supreme, porté par une foi inébranlable et une spiritualité personnelle transcendante. Ce qui justifie pleinement la troisième partie, plus technique, de cet ouvrage.
Il ne sera désormais plus possible d’écrire sur le jazz sans avoir lu Jazz Supreme : Initiés, mystiques & prophètes. La dimension spirituelle du jazz n’est plus de ces sujets qu’on balaie d’un revers de manche. Et Raphaël Imbert vient de poser le pied sur un nouveau continent qui reste à explorer - en dehors de l’espace afro-américain par exemple.
par Matthieu Jouan // Publié le 21 avril 2014

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