Excellente journée aux Leffe Jazz Nights ce samedi. Des concerts lumineux sous un ciel tout azur et dans une ambiance zen parfaite. Elle avait commencé par LG Jazz Collective, ce groupe de jeunes musiciens qui avait remporté le Concours des jeunes talents à Dinant l’année passée, et qui s’est encore remarquablement amélioré. En cette veille de fête nationale, le groupe – c’est son objet – n’a joué que des morceaux de compositeurs belges : Nathalie Loriers, Lionel Beuvens, Alain Pierre, et Guillaume Vierset, le guitariste et leader du groupe qui allait, quelques heures plus tard, remporter le Sabam Jazz Awards du jeune musicien.
L’excellence du groupe ? Des arrangements subtils qui manient la douceur et l’explosivité, qui s’appuient sur une rythmique implacable (Igor Gehenot au piano, Félix Zurstrassen à la contrebasse, Antoine Pierre à la batterie), sur un guitariste doué (Guillaume Vierset) et sur un banc de cuivres à la fois physique, déchaîné et inventif (Jean-Paul Estiévenart à la trompette, Steven Delannoye et Laurent Barbier aux sax).
Kris Defoort est un pianiste trop peu connu de ce côté-ci de la frontière linguistique. Ce spécialiste du mélange a composé des opéras, des musiques de scène, joue en grande formation, en trio, en solo. A Dinant, il s’est produit avec un magnifique batteur, Lander Gyselink, et un magnifique bassiste, Nicolas Thys. Ce trio est magique. Lander est davantage percussionniste que batteur, il produit des sons, accompagne et relance, mais ne se contente quasi jamais de battre la mesure. Nicolas n’hésite pas à faire du slap, de la percussion sur sa Fender bass. Et Kris Defoort est le spécialiste de la déconstruction-reconstruction. Ce sont ses doigts et ses références qui guident sa musique.
Pendant toute la première partie du concert, c’est Thelonious Monk qu’il a revisité, superbement. Et puis il s’est lancé dans une de ses compositions, ses doigts ont effleuré les trois touches qui font le « Summertime » de Gershwin et il s’est embarqué dans cette aventure. Ce fut ensuite « Walking on the moon » de Police qui fut réinterprété, avec son riff insistant et hypnotique. Et, en rappel, un Prince : « Sometimes it snows in april ». Kris Defoort and co distillent un art quasi minimaliste. Ce n’est pas à lui que l’empereur Joseph II aurait pu lancer, comme à Mozart : « Trop de notes ! » Kris Defoort ne joue pas à l’économie, mais il a l’art de la note adéquate, précise. Pas besoin d’en rajouter. Prestation éblouissante.
Philip, magnifique
Philip Catherine, c’est tout autre chose. Lui, c’est l’art de l’émotion. Ses compositions lyriques, le romantisme avec lequel il s’empare des morceaux des autres, que ce soit Cole Porter, Georges Brassens ou Nicola Andrioli, son pianiste, soulèvent l’âme des auditeurs. On se sent immédiatement remué, jusque dans son tripes, par l’effet de cette musique d’apparence si simple et pourtant si sophistiquée. Le guitariste belge aime la mélodie. Il le montre dans des extraits de son très beau dernier album, « Coté Jardin » : « Seven teas », « Misty Cliffs », « La prima vera », « Jeannette », « Lost Land », « Je me suis fait tout petit ». Comme dans la reprise de « Why can’t you behave ? » de Cole Porter, ou dans un morceau d’Andrioli qui figurera sur le prochain album, « Mare di notte ».
Ce qui est magnifique chez ce musicien qui pourrait tout se permettre, c’est qu’il laisse de l’espace aux autres. A Nicola Andrioli, pianiste doué avec qui il s’amuse à dialoguer. A Philippe Aerts, vieux complice à la contrebasse, qui prend des solos toujours marqués d’une belle inventivité. A Antoine Pierre, un batteur de 20 ans, qu’il lance avec plaisir dans de remarquables solos. La guitare de Philip Catherine est douce et chantante. Mais elle peut être blues et même rock. Elle se fait rauque alors, elle se déchaîne pour improviser en accords et toujours revenir sur le thème avec la légèreté de la gazelle. Philip s’est amusé sur scène, ça s’est vu. Le public en est fait tout autant dans la salle.
C’est devenu une habitude dans les festivals de jazz. Un des invités sort du cadre précis du festival pour aborder d’autres rives. L’année passée, Olivia Ruiz avait amené son grand orchestre. Cette fois-ci, c’est Ozark Henry, alias Piet Goddaer, qui a clôturé la soirée. Avec une pop de luxe aux arrangements élégants et délicats, aux voix élaborées : la sienne, légèrement voilée, à la tessiture étendue, et celle d’Amarillys Uitterlinden, claire et aiguë, un peu à la Kate Bush. Soutenu par un trio guitare-claviers-batterie, lui-même prenant la basse, Ozark Henry a développé ses musiques séduisantes, sereines malgré la rythmique bien rock assénée, à la basse musicale, à la guitare qui n‘hésite pas à se déchaîner, aux notes aigrelettes du vibraphone. Ozark Henry a donné ses tubes, de « Sun Dance » à « I’m your sacrifice », de « Incurable romantics » à « This one’s for you », de « Free Haven » à « Sun Dance ». Concert impeccable. Sans folie, sans impro, mais avec une belle densité. Et, avouons-le, après toutes les subtilités jazzistiques de ce samedi, retrouver une pop simple et un rythme à quatre temps sur lequel on peut battre des mains et danser – et certains n’ont pas hésité -, ça fait aussi du bien.