mardi 13 août 2013

Peu de nostalgie avec Chet Baker

Chet Baker (4) et Paul Bley, seuls ensemble

LES DISQUES RAYÉS |
Le 
François Gorin
Le 27 février 1985, Chet Baker est de passage à Copenhague. Depuis sept ans, il est devenu citoyen d'Europe. Itinérant – un genre de rom à la trompette. C'est un âge décadent pour sa santé (dentition incluse), mais prolifique. Des dizaines d'albums, pour presque autant de labels. Dont le danois Steeple Chase, label chez qui Paul Bley vient de graver Questions. Il y a passé les deux nuits précédentes. Survient Chet et les deux se mettent au boulot. A part une brève performance au festival de Juan-les-Pins, ils n'ont pas joué ensemble depuis trente ans. En 1955, Chet avait attiré en Californie le pianiste canadien, encore étudiant à Juilliard. Par la suite il a vu pas mal de chatouilleurs d'ivoire, et pas les pires. Bill Evans est surChet (1959). On continue de rêver à ce qu'aurait donné le duo sans l'excellente compagnie qui l'escorte. Vraiment alone together, juste eux deux.
Les huit morceaux de Diane sont peut-être ce qui s'en approche le mieux. L'aventureux Bley, celui qui se piquait d'égarer ses sidemen dans les allées de n'importe quel standard, observe ici une discipline idéale. Ce soir du 27 février, Chet Baker veut le lancer sur Elsa, que jouait Evans avec son Trio de 1961. Ça coince. Ils plongent dans How deep is the ocean… Le souffle du trompettiste est un mince filet d'air. Il n'en veut pas plus. Il lui faut juste le minimum pour produire la voix qu'il aime sortir de l'instrument. Ce son, suave et ténu, sombre et vaporeux, c'est aussi parfois sa voix humaine. Chet sings, par exception mais avec le même naturel, toujours confondant. You go to my head est le deuxième morceau de l'album et c'est en prêtant l'oreille qu'on entend son chant. Les mots sont distillés avec parcimonie, au-delà de la douleur que sublimaient chacune à sa façon légèreBillie Holiday et Beverly Kenney, dans l'évocation d'un amour toxique. Puis la voix repart comme elle était venue, sur la pointe des lèvres, et l'un des plus beaux disques du monde suit son cours.


Chet Baker & Paul Bley You go to my head (1985)

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