... et d’excellente humeur ? Oui, deux fois Oui !
Nous poursuivons notre balade dans les nouveaux disques de batteurs suisses. Après Alex Huber (lire ici), on retrouve Daniel Humair. Des patronymes phonétiquement proches pour deux musiciens d’âge différent mais aux musiques pas si éloignées dans l’esprit...
Sommaire :
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Daniel Humair , né le 23 mai 1938 à Genève, est un batteur et compositeur de jazz ainsi qu’un peintre suisse." Ainsi débute assez sèchement l’article de Wikipédia consacré à un musicien formidable, un alchimiste qui ne maîtrise pas seulement les formes et les couleurs, en peinture comme en musique, mais qui est aussi un vrai révélateur de talents. Ce passionné d’art culinaire sait "cuisiner" avec beaucoup de doigté, de force et de finesse les instrumentistes qu’il réunit dans ses nouvelles préparations pour révéler leurs spécificités, faire éclore les saveurs de leur jeu.
Parce que Daniel Humair reste aujourd’hui un des meilleurs batteurs dans le
monde du
jazz et un leader vénéré, il peut se permettre de propulser chacun au-delà de ses limites et des bousculer les habitudes, les cadres et les idées reçues. Après avoir fait exploser les "
bébés-jazzmen" qu’il avait recrutés dans les rangs du CNSMDP [
1] de Paris (Baby Boom), il continue avec la même envie de partage en confrontant son jeu de baguettes incomparable à des musiciens beaucoup plus jeunes que lui. Le secret de la jouvence ?
Les deux disques qui paraissent à quelques jours d’intervalle pour cette rentrée 2012 sont parfaitement révélateurs de cet "effet Humair".
Dans le premier, "Maître D.H." s’associe au trompettiste
Nicolas Folmer pour co-diriger un quartet qui prend, du coup, une dimension presque inattendue. Du
jazz mélodique, respectueux des normes et des codes qui prend un aspect singulier : passionnant !
Dans le second, sur le label Laborie de Jean-Michel Leygonie, Daniel Humair présente une version légèrement remodelée de son nouveau quartet créé en 2011.
Jérôme Regard y remplace Jean-Paul Celea aux côtés des jeunes loups pleins de vie et d’envies que sont
Émile Parisien et
Vincent Peirani. Il nous refait le coup de la bande de jeunes avec un répertoire d’un éclectisme débridé et jubilatoire.
Deux disques qui vont compter pour cette fin d’année et deux projets aux caractères assez différents pour qu’on salue encore l’ouverture d’esprit et la passion d’éternel défricheur d’un Humair plus énergique que jamais.
Nicolas FOLMER & Daniel HUMAIR PROJECT : "Lights"
- Nicolas FOLMER & Daniel HUMAIR PROJECT : "Lights"
- Cristal Records / Harmonia Mundi
- "OUI ! On aime !"
Personne ne contestera le talent d’instrumentiste du trompettiste
Nicolas Folmer, qui pourrait évoquer Freddie Hubbard ou Jon Faddis pour prendre des références "étatsuniennes". Il navigue avec aisance et assurance dans les eaux d’un
jazz moderne qui sait captiver le public en jouant sur des liens serrés entre des structures mélodiques séduisantes (il écrit fort bien) et des assises rythmiques solides. Il maintient ainsi l’auditeur dans un cadre rassurant.
Avec ce disque, un déclic s’est produit. Folmer le garçon sage et mesuré semble s’émanciper sous les coups d’aiguilles (le scintillement des cymbales), coups de pied et de poing d’un Humair qui boxe dans le velours, triture, modèle les formes et les couleurs pour en faire une musique qui sait occuper l’espace.
Du coup, tout le
monde se lâche et tout particulièrement le pianiste
Alfio Origloqui prend son piano à bras le corps et improvise avec brio et inventivité (écoutez-le dans
Galinette ou cette
Rivière Calme qu’il transforme en torrent pour suivre les fluctuations de courant impulsées par Daniel Humair).
Laurent Vernerey apparaît, dans ce contexte comme un contrebassiste discret et attentif pendant que Nicolas Folmer distille une partie de trompette superbe, souvent tempérée par des sourdines dont il fait un usage virtuose.
Il est intéressant de retrouver dans ce disque le thème
I comme Icare qui donnait sont titre au premier album du trompettiste (en 2004, avec André Ceccarelli à la batterie tout de même). Il permet de mesurer l’épanouissement d’un musicien qui parvient à une maturité sereine dans cette association avec Daniel Humair.
Le temps fait son œuvre, dans le bons sens si on sait bien s’entourer.
Daniel HUMAIR – PARISIEN – REGARD – PEIRANI : "Sweet & Sour"
- Daniel HUMAIR – PARISIEN – REGARD – PEIRANI : "Sweet & Sour"
- Label Laborie / distribution Abeille Musique
- "OUI ! On aime !"
Le 12 août 2011, nous découvrions le tout nouveau quartet de Daniel Humair pendant le
festival "Jazz à La Tour" (La Tour d’Aigues - Vaucluse). La formation n’avait que quelques concerts à son actif et Daniel Humair se remettait tout juste d’une fracture de... l’humérus survenue un peu plus de deux mois auparavant. Ce n’est pas une équipe de bras cassés, on peut vous le dire : ils nous ont subjugués. Demandez à notre ami-rédacteur Jean Buzelin : il a pris deux "coups de chaud" ce jour-là, le midi à cause du soleil et le soir avec ce quartet (tout va bien pour lui, qu’on se rassure !).
Certes, ce soir-là, c’est Jean-Paul Celea qui était à la contrebasse. Il est aujourd’hui remplacé par
Jérôme Regard qui nous épate autant dans ce contexte que l’équipe de Folmer dans le disque évoqué ci-dessus. Celea est aujourd’hui mobilisé par son trio "
Yes Ornette !" dans lequel il a embauché le même saxophoniste stratosphérique, Émile Parisien (On en reparlera un peu plus tard).
Et voilà donc la galette toute fraîche à la sauce aigre-douce (
Sweet & Sour) qui marque l’entrée officielle de Daniel Humair dans le "team" du label Laborie. On notera d’ailleurs que ce disque marque une inflexion de la politique du label initialement concacré à la jeune génération des
jazzmen fançais et européens qui s’ouvre aujourd’hui à des musiciens de renom donc un poil plus âgés.
Ce qui tranche dans ce disque, si on le compare aux précédents opus du batteur, c’est la présence de l’accordéon de
Vincent Peirani qui réussit l’exploit (effet rebond ?) d’entraîner le batteur-leader sur son terrain jusque dans les recoins du swing musette où on n’attendait pas vraiment le peintre genevois qui valse comme pas deux (
7A3) jusqu’à tourner
free...
Et puis il y a
Émile Parisien, l’as du soprano qui passe avec le même enthousiasme de son propre quartet aux projets de ses "maîtres" (Humair, Celea...). Avec son phrasé en dents de scie, il déplace les montaganes et les conventions, se trémoussant du bec, les doigts dans les courants d’air de son tuyau rectiligne. Chez Émile Parisien, la gestuelle est vraiment une composante de l’expression. Tout fait sens. Écoutez
Oppression, sa magnifique composition où il chemine pas à pas avec Vincent Peirani. Copains et complices et vice-versa qui poursuivent l’échange dans
Shuberthauser, composition du second. Là-dessus, Daniel Humair brode une dentelle percussive en parfaite harmonie avec Jérôme Regard.
Nous vous épargnerons le descriptif détaillé de chaque morceau. Le mieux est d’écouter ce disque afin de réaliser que vous ne pourrez vraiment pas vous en passer. Vous serez mis dans l’ambiance tout de suite par le thème très contrasté emprunté à la saxophoniste Jane Ira Bloom,
A Unicorn in Captivity. Un passage obligé devant la Licorne pour percer les secrets d’un très bel album concocté avec malice par une équipe de mages musiciens, interprètes remarquables et improvisateurs redoutables. Du grand art, vraiment !
Les références :
> Nicolas FOLMER & Daniel HUMAIR PROJECT : "Lights" - Cristal Records - distribution Harmonia Mundi (parution le 28/08/2012)
Nicolas Folmer : trompette / Daniel Humair : batterie / Alfio Origlio : piano / Laurent Vernerey : contrebasse
01. Ici et maintenant / 02. I comme Icare / 03. Kamakura / 04. Galinette / 05. Riviere calme / 06. Attrape-moi si tu peux / 07. Gravenstein / 08. Claire et Sombre // Enregistré aux Studios de Meudon les 12 et 13 mars 2012 - ( titre 06 enregistré au Duc des Lombards - Paris)
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> Daniel HUMAIR – PARISIEN – REGARD – PEIRANI : "Sweet & Sour" - Label Laborie J19 - distribution Abeille Musique (parution septembre 2012)
Daniel Humair : batterie / Émile Parisien : saxophones / Vincent Peirani : accordéon / Jérôme Regard : contrebasse
01. A Unicorn in Captivity (J-I Blum) / 02. Ground Zero (Humair – Parisien – Peirani – Regard) / 03. Care 4 (Humair – Parisien – Peirani – Regard) / 04. 7A3 (Peirani) / 05. T2T3 (Humair – Parisien – Peirani – Regard) / 06. Oppression (Parisien) / 07. Shuberthauser (Peirani) / 08. Debsh (Parisien) / 09. Ground One (Humair – Parisien – Peirani – Regard) / 10. Road to Perdition (T. Newman) // Enregistré au studio Laborie en 2012
> Liens :
http://www.culturejazz.fr/spip.php?article1938