Le Paolo Fresu Devil Quartet emmène Dinant dans les étoiles
JEAN-CLAUDE VANTROYEN
dimanche 22 juillet 2012, 13:24
Le trompettiste s'est produit avec son Devil Quartet au Leffe Jazz. Du jazz qui déménage et qui fait pleurer, qui enthousiasme et qui émeut.
Le trompettiste sarde est un musicien surprenant. Il y a quinze jours, il faisait dans le spirituel et le mystique avec Mistico Mediterraneo, un projet où se mêlent voix corses, bandonéon et trompette, et c'était un chant qui emmenait le public sur ses ailes, loin dans le firmament. Samedi, au Leffe Jazz Nights, il se produisait avec son Devil Quartet, et c'était du jazz qui déménage et qui fait pleurer, qui enthousiasme et qui émeut, qui emmène le public dans les étoiles, au-delà du jazz, là où la musique rejoint le monde, où tout est harmonie et beauté. Paolo Fresu est un poète. Et, comme un poète, il utilise les moyens de son temps : l'ordinateur grâce auquel sa trompette, son bugle, sa trompette bouchée font jaillir des sons étonnants, parfois on se croit dans le chœur des archanges, parfois dans une vallée où l'écho joue d'effets inattendus. Mais jamais, cet artifice ne se substitue à la musique même. Fresu n'est pas du style à se contenter de l'effet. Ce qu'il cherche, c'est d'aller plus loin.
Et pour le faire, il est entouré d'un groupe formidable : Bebo Ferra à la guitare, Paolina Dalla Porta à la contrebasse et Stefano Bagnoli à la batterie. Entre ces quatre-là, une osmose totale s'est créée, chacun anticipe l'autre et le relance, chacun joue de son instrument et du groupe. Paolo Fresu est le leader, certes, mais sans les autres, il est dans le désert. Il fallait voir et entendre ces débats-combats entre le trompettiste et le guitariste qui se regardent, se jaugent, s'affrontent amicalement. Paolo, pantalons prince de galles gris, pieds nus, le corps penché vers l'arrière à se rompre ; Bebo, qui se balance comme un ours au rythme du morceau, qui lève les jambes, faisant apparaître de superbes baskets orange. Un trompettiste qui ne fait jamais assaut de virtuosité, mais qui l'est, évidemment, préférant les notes justes à l'avalanche. Un guitariste atypique, jouant sur accords plutôt que sur notes. Ils s'accrochent en duel, se rejoignent sur le thème à l'unisson, se séparent pour se réconcilier à nouveau. Et, derrière, une contrebasse sensible et forte et une batterie parfaite. C'est tantôt déchirant tantôt exubérant, ça déménage et ça apaise, c'est tendre et rock, ça swingue toujours.
Des reprises, comme celle de « Giovedi ». Et surtout des compositions, de Paolo et de Paolino : « Another road to Timbuktu », « Mimi », « Game 7 », « Elogio del discount », « Moto perpetuo ». Et des berceuses pour terminer : « Nina Nana per Andrea », le fils de Fresu, et « Himno a la vita », deux musiques d'une grande douceur et d'une grande beauté. Remarquable final pour un remarquable concert. Ce Devil Quartet nous a plutôt fait rejoindre les anges que l'enfer.
Bop & Soul Sextt. Auparavant, on avait aussi vibré, sans doute pas dans les mêmes proportions. Au début d'une journée plus sèche et plus ensoleillée, enfin, Maxime Blésin et son Bop & Soul Sextt avaient développé un jazz simple et goûtu, qui ne s'embarrasse pas de questions : droit au but, et le but, c'est de prendre son pied, sur scène et dans le public. Comme les jazzmen du début des années 60, les Hank Mobley, Freddie Hubbard, Lee Morgan, Art Blakey, le guitariste Maxime Blésin mêle le sens du refrain qui sonne avec des impros subtiles et excitantes sur base d'un duo rythmique efficace : Sal La Rocca à la basse, Hans van Oosterhout à la batterie. Sur le tapis du beat, Maxime lui-même, Greg Houben, à la trompette ou au bugle, le Québecois François Théberge au sax, Pascal Mohy au piano développent des solos souvent enivrants. C'est du bon jazz, où l'on se prend à taper du pied, où on commence à s'agiter, où on devrait se lever pour danser. C'est soul et ça groove. Des compos de Maxime Blésin, qui se retrouvent sur l'album que le groupe a enregistré et qui est aussi emballant que cette prestation.
Grégoire Maret Quartet. L'harmoniciste de 37 ans, Suisse vivant à New York, n'a plus à s'agenouiller devant sa grande idole Toots Thielemans. Il fonce seul maintenant vers la gloire. Ce concert l'a encore montré. Il a beaucoup appris de Toots, mais l'élève n'a pas à copier le maître, alors il s'en détache, se fait plus rock, emmené par un batteur d'exception, l'Américain Clarence Penn, par un pianiste surdoué, l'Urugayen Federico Gonzales Pena, au toucher subtil et versatile (ce n'est pas un mot négatif) et par un bassiste (contrebasse, basse électrique 5 cordes) solide, le Polonais Robert Kubiszyn.
Le quartet est capable de jouer à la ECM années 80, d'envahir le paysage de strates sonores comme un brouillard la prairie. Et puis soudain de décoller, de s'envoler vers un jazz rock, sinon hard rock, où Grégoire Maret s'excite, lévite, se donne avec fougue, s'emporte, bougeant de tout son corps, sautant sur place, s'accroupissant, se relevant, se donnant corps et bouche pour faire sortir de son harmonica des solos impressionnants. « On une palette de sons qu'on explore tous les soirs en concert, dit-il. Mais on a préparé quelque chose de spécial en pensant à M. Jean-Baptiste Thielemans. « Et d'enchaîner « The secret life of plants » de Stevie Wonder (il a la cote, lui, on le reprend tout le temps !) et « Smile », « un morceau que Toots adore jouer ».
Sur « Lucilla's Dream », un nouveau morceau, qui figure sur l'album qui va prochainement sortir, ça s'emballe à nouveau. Et, entre Clarence Penn et Grégoire Maret se joue comme une bataille où l'on ne sait plus qui relance l'autre. Maret est décidément le digne successeur de Toots, dans un genre souvent plus libéré, plus agressif. Et Clarence Penn est décidément un tout grand batteur. Plus tard, Billy Hart et lui se retrouveront sous le chapiteau pour écouter Paolo Fresu. L'ancien et le jeune, côte à côte, dans le public, avec le sourire, une très belle image.
Rhoda Scott Special Ladies Band. La marraine du festival, l'organiste Rhoda Scott, avait préparé une surprise pour ces Leffe Jazz Nights. Samedi à 22 h, la surprise était sur scène : un groupe de sept jeunes femmes pour entourer Rhoda et sa « soulsister » La Velle. Le public, debout, les a plébiscités. Et c'est vrai que c'était enthousiasmant, même si le jazz que le band produisait ne s'encombrait pas de faire autre chose de s'amuser. Plus un mouvement féministe – rassembler toutes ces femmes sur la même scène, sans un mâle – qu'un mouvement musical. Deux bons vieux blues avec La Velle, dont la voix et la posture ont l'attirance des honky tonk, le « Bad » de Michaël Jackson, des compositions des musiciennes, l'« Hymne à l'amour », « Bernie's Tune » et le final avec « Half Moon Bay » de Rhoda herself. C'était inhabituel et chouette, sans plus. Mais ça a soulevé le public : parce que c'est un big band et le public adore les big bands ; parce que ça swingue, et les gens adorent quand ça swingue ; parce que ce sont des filles et que, malgré tout, c'est un peu excentrique ; parce que c'est Rhoda Scott et que le public l'aime et aime le groove de son orgue Hammond. Quatre raisons nécessaires et suffisantes pour que les neuf femmes reviennent sur scène jouer la Brabançonne, pour le 21 juillet évidemment. Ne bousons cependant
pas : nous avions tous le sourire pendant cette prestation. Qui était là ? Rhoda Scott à l'orgue, La Velle à la voix et au piano, Sophie Alour, Lisa Cat-Berro, Géraldine Laurent, Alexandra Grimal aux saxophones, Airelle Besson au bugle, Aurore Voilqué au violon et Julie Saury à la batterie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire