jeudi 12 juillet 2012

David Linx chante Porgy & Bess

David Linx, un artiste bien connu à Junas, va chanter: Porgy & Bess; voilà son interview dans le journal belge: Le Soir


David Linx partage son bonheur

JEAN-CLAUDE VANTROYEN
mercredi 11 juillet 2012, 14:01

Le Brosella, c'est deux jours de concerts gratuits. Avec David Linx Porgy et Maria Joao Bess en vedettes.

David Linx partage son bonheur
David Linx : « Maria Joao, c’est ma sœur » © Carlos Ramos
jazz
ENTRETIEN
Nous nous rencontrons au restaurant Variétés, derrière Flagey. David Linx est en pleine forme. Il s'offre un verre de vin. Pour une fois. Il est bavard, prolixe même, ce qui n'est pas son habitude. Il a envie de partager son bonheur. De chanterPorgy & Bess avec Maria Joao et le Brussels Jazz Orchestra, d'avoir enregistré ce beau disque chez Naïve, d'être avec Maria et le BJO sur la scène du Brosella ce dimanche 15 juillet, à 15 h. Puis, plus tard, à Dinant. Plusieurs fois il me demande si mon enregistreur fonctionne bien. Je le rassure. Alain Chamfort passe. Ils s'embrassent. Ils produisent un album ensemble, où 20 actrices chantent les 20 arrondissements de Paris.
S'attaquer à « Porgy & Bess », de Gershwin, c'était un désir ?
C'est un rêve depuis que je suis tout petit. Quand j'ai eu mon premier prix de percussion, j'ai joué l'ouverture de Porgy & Bess au xylophone. (Il fredonne). Je connaissais cette œuvre. Vous savez qu'elle est extrêmement raciste. Elle met en scène des Noirs qui parlent dans un petit-nègre qui n'existe pas. Je l'avais déjà chantée avec Paolo Fresu en Italie et j'avais déjà mis les paroles anglaises à jour. Des musicologues étaient choqués : comment ose-t-on dénaturer cet opéra et manquer de respect envers les Noirs ? Mais non, au contraire. Parce que cet opéra, c'est comme si un Sénégalais écrivait sur les Blancs et donnait l'accent marseillais à tout le monde.
Vous avez vécu avec le poète James Baldwin. Le racisme, ça vous concerne de près.
Quand j'étais jeune, j'ai habité chez James Baldwin, je suis sensible à ce sujet, j'ai grandi là-dedans avec l'écrivain Toni Morrison comme tante éloignée. Et précisément, ce Porgy & Bess est ma façon de rendre hommage à Baldwin en enlevant des paroles leur côté extrêmement, euh…
Condescendant ?
C'est un mot trop gentil, mais laissons-le.
Vous avez changé les paroles ?
Je les ai mises à jour. Les Noirs ne disent pas « I loves you », ils disent « I love you ». Ils disent « You are my woman », pas « You is my woman ». Je ne pouvais pas m'attaquer à cette œuvre sans modifier certains aspects. Il m'était impossible de chanter « You is my woman » après avoir grandi chez Baldwin.
C'est audacieux, non, de s'attaquer à ce monument ?
Il y a 17 ans, j'ai chanté « La chanson des vieux amants », de Brel. J'en suis très fier. Quand on aborde un tel morceau, on n'a pas peur, on a envie de le chanter. Ici, c'est la même chose. Je chante cet opéra parce que j'ai envie de le faire.
Dès le début, vous pensiez l'enregistrer avec Maria Joao et le BJO ?
On était en tournée en France avec le BJO et mon disque Changing Faces. J'en ai parlé à Frank (Vaganée, le directeur artistique du BJO). Parce que c'était un vrai bonheur de travailler avec l'orchestre et de partir en tournée. Il a directement dit oui. Je voulais aussi un arrangeur par morceau. Ça donne des couleurs différentes à l'album.
Et Maria Joao ?
J'ai fait Follow the Songlines avec elle. C'est comme ma sœur. On vit de la même façon. Ce qui nous rattache, humblement, c'est qu'on est connu tous les deux pour avoir notre singularité et être à la tête de notre propre courant. Je me rappelle quand j'ai commencé avec le pianiste Diederick Wissels, les critiques qu'on s'est pris dans la gueule, et maintenant on parle de nous comme si on avait instauré une nouvelle école vocale. Quand tu prends des coups dans la gueule, tu n'as plus peur de rien. Mais quand tu es une locomotive, tu es toujours en position d'en prendre encore. Ce qui n'est pas grave.
L'opéra est long, vous avez fait une sélection. Comment ?
On est allé voir Porgy & Bess à l'opéra à Lyon, avec Maria. On a un peu repéré des morceaux. Et chaque fois que je passais par la gare du Midi, j'avais rendez-vous avec Frank, autour d'une Leffe, pour opérer le choix. Et puis, je ne peux chanter tout l'opéra. C'est une condition des Gershwin : il faut être noir. Quand tu es blanc, tu n'as pas le droit de faire l'opéra. A l'époque, ça semblait respecter les Noirs, mais aujourd'hui c'est du racisme. La famille de Gershwin était là à Lyon pour s'assurer qu'il n'y avait pas un blanc sur scène. Dans la chorale il y avait des blancs, alors on a placé tous les choristes derrière un grand rideau noir. C'est stupide. Le racisme est toujours là.
Vous craignez les comparaisons avec les autres versions de l'œuvre ?
J'ai fréquenté Baldwin, Miles Davis, Kenny Clarke. Et je me suis toujours dit que je ne voulais pas vivre dans l'ombre de quelqu'un. On voit trop souvent l'entourage de stars, de légendes piégé dans une espèce de non-existence. A 15 ans, je me disais : Si je n'ai pas mon son et mon style, je n'ai même pas envie de commencer. Il faut créer son alphabet, son vocabulaire et puis espérer qu'on a quelque chose à raconter. Moi j'avais la volonté. Et il faut l'avoir en jazz. Les chanteurs ne sont aimés ni par les musiciens ni par les journalistes : ils préfèrent les chanteuses. Même assez médiocres.
Vous avez souffert de cela ?
Non. Mais ça n'a pas été facile. La meilleure école pour ça a été la Belgique. Heureusement que je suis parti. Il fallait que je m'exporte. En Belgique, il faut tellement se battre pour avoir un peu d'attention, on a tellement l'habitude de ramer. En France, on m'a rapidement adopté. Sans doute parce que je suis un chanteur qui doit chanter pas si mal.
Vous avez 47 ans. Vous continuez à travailler tous les jours ?
Je donne des cours au Conservatoire de Bruxelles. J'ai un département avec un niveau très haut, où on vient du monde entier. Et je dois moi aussi travailler. D'ailleurs ma tessiture s'est élargie. Avant j'avais deux octaves et demie, maintenant trois octaves. Je ne fais pas des vocalises méthodiques, mais la première chose que je fais tous les jours, c'est tester ma voix. Parce que c'est fragile une voix. Et c'est perturbant : les cordes vocales n'ont pas de logique.
A 47 ans, je me sens beaucoup plus jeune qu'à 27 ans. je porte moins le monde. je sais que je suis chanteur, je chante, je n'ai pas à me battre pour prouver que je suis un bon chanteur. C'est tellement difficile de débuter dans ce métier.
N'est-ce pas frustrant d'être célèbre dans le monde du jazz et beaucoup moins à l'extérieur ?
Non, parce que je chante tout le temps et partout dans le monde. Et je commence même à être connu en dehors du jazz. Michel Fugain, Maurane, Art Mengo, Bernard Lavilliers me demandent. Je suis le chanteur de jazz pour eux. Mais ce n'est pas péjoratif. Quant à moi, je ne connais pas le mot compromis : je choisis les morceaux et je les chante à ma façon.
Vous restez vous-même.
Un truc ne peut marcher que quand le cœur est dedans. Je ne peux pas faire comme si.
Vous êtes un sage dans la vie ?
Avec la voix, il faut de la discipline. Après les concerts, les musiciens vont faire la fête, le soir, mais avec la voix, on ne peut pas. Je quitte à peine l'hôtel quand on est en tournée. Pour être en forme, dans sa voix et dans sa tête. Mais quand je ne chante pas je ne suis plus si sage. Mes copains ne le sont pas non plus. J'ai des copains voyous. Quand je débarque à Philadelphie, mes copains gangsters arrivent dans ma chambre d'hôtel. C'est ma jeunesse, j'ai un peu grandi avec ces gens-là. Je ne suis pas sûr que je dois dire ça, mais dans le monde de la musique, on côtoie le roi, la reine, les clochards, tout le monde. Mes copains à moi sont des voyous, des gangsters, mais ce sont mes potes.

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