FEMMES DE JAZZ
Article trouvé dans les Allumés du Jazz de Février 2011
Parallèlement au déferle- ment régulier de chan- teuses dans les bacs de ce qui subsiste de rayons jazz, on assiste à l'apparition tout aussi régulière de musiciennes accé- dant à une réelle notoriété. Le relais médiatique du phéno- mène par les revues spécialisées (ou non) laisse ainsi penser que, addition faite des vocalistes et des instrumentistes, le jazz se féminise.
Or, c'est un fait, qu'un sur vol de la littérature, des dic- tionnaires et autres encyclopé- dies qui jalonnent l'histoire du jazz, prouve à l'évidence qu'à l'exception de quelques grandes voix le panthéon du jazz n'affiche qu'une très pauvre représentation féminine.
En témoigne aussi la récente antho- logie « Les Géants du Jazz », pro- posée à ses lecteurs par le jour- nal Le Monde : sur quarante élus, quatre chanteuses (Bessie Smith, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan). A ce niveau (les grands, les incon- tournables), la seule absence d'une Mary Lou Williams est proprement scandaleuse et montre bien comment, au fil du temps, silence et indifférence se sont ligués pour conser ver au jazz sa suprématie masculine. Il suffit pourtant de remonter honnêtement le temps jusqu'aux plus lointaines origines du jazz pour y rencontrer nombre d'es- timables et talentueuses instru- mentistes. Suivez le guide...
Hardin Armstrong. Les divers témoignages les concernant font état de caractères bien trempés dans la mesure où, outre la difficulté à s'intégrer à un milieu d'hommes, ces femmes-là étaient généralement désavouées par leurs familles pour manque évident de respec- tabilité.
Il n'était pas rare pourtant que le jazz se joue en famille : Irma, soeur aînée de Lester Young jouait du saxophone avec ses frères ; tout comme Léontine (piano) et Marjorie (saxo- phone) Pettiford ; ou encore Norma Teagarden (piano).
Progressivement, et la crise économique n'arrange pas les choses, les musiciennes sont partagées entre faire de la musique et gagner de l'argent. Elles deviennent une concur- rence pour les musiciens. Dans ce contexte, la ségrégation noir/blanc se double de celle homme/femme. C'est ainsi que Blanche Calloway est délaissée, au profit de son frère Cab, par Ir ving Mills alors impresario du Cotton Club. Elle constituera cependant un orchestre remar- quable avec des musiciens comme Ben Webster, Vic Dickenson, Clyde Hart et Cozy Cole, mais le succès restera moindre.
A noter que le développement de ces orchestres de femmes ne se fait pas sans débat. Un cri- tique écrit dans la revue Down Beat que les femmes ne dispo- sent pas d'un certain nombre de qualités indispensables au jazz, notamment qu'elles ne swin- guent pas. Ce qui lui vaut quelques répliques cinglantes de musiciennes dans le numéro suivant.
Au-delà de ces difficultés, un certain nombre d'orchestres de femmes connaissent leur part de succès : celui d'Ina Ray
Hutton « and his Melodears » (musiciennes blanches), les « Harlem Playgirls » (musiciennes noires) et, surtout, «The International Sweethearts of Rhythm », sans doute le meilleur. Il doit beau- coup au talent d'arrangeuse de la trompettiste Edna Williams, puis à Anna Mae Winburn qui lui succède à la tête de la forma- tion et bénéficie des arrange- ments de Eddie Durham. L'orchestre, mixte au plan racial, connaîtra de sérieux pro- blèmes lors de ses déplacements dans le Sud mais se produira jusqu'en 1948, époque où, comme l'ensemble des grands orchestres, les Sweethearts subissent le changement de mode et le contrecoup de la fin de la guerre au plan écono- mique.
De ces ensembles féminins émergent quelques personnali- tés solistes : Dolly Jones, Ernestin « Tiny » Davis, Estella Slavin, Valaida Snow (« Queen of the trumpet »), Jane Sager (trompette) ; Irma Young, L'Ana Webster, Viola Burnside (saxophone) ; Edythe Turham, Mar y Colston Kirk, Doris Peavey (piano).
De ces années d'après-guerre, on se doit de retenir quelques autres pianistes exception- nelles. D'abord, toujours en activité, Marian McPartland et Barbara Carroll. Puis aussi Jutta Hipp (3 albums sur Blue Note), Lorraine Geller, Bertha Hope et
Pat Moran. Sur les autres instruments se
sont distinguées : Norma Carson, Jean Starr, Clora Bryant (trom- pette) ; Willene Barton, Kathleen Stobart, Vi Redd (saxophone) ; Melba Liston (trombone) ; Marjorie Hyams, Terry Pollard (vibraphone) ; Mary Osborne (guitare) ; Corky Hale, Dorothy Ashby (harpe) ; Vivian Garry, June Rotenberc, Lucile Dixon (contrebasse) ; Bridget O'Flynn, Rose Gottesman, Elaine Leighton (batterie).
La fin de la seconde guerre mondiale renvoie les femmes au foyer et aux tâches domes- tiques. Nombre de musiciennes se « sacrifient » pour élever les enfants et stoppent leur car- rière. Certaines choisissent de la poursuivre et, pour pallier à l'in- suffisance de sollicitations de la part de leurs confrères mâles, renouent avec l'alternative des orchestres de femmes. Mais cette fois, plutôt en petites for- mations. C'est le cas de Vi Burnside, Flo Dreyer et de Beryl Booker qui joue, sur la 52ème Rue à New York, avec un excel- lent trio complété par Bonnie Wetzel (contrebasse) et Elaine Leighton (batterie). Mary Lou Williams dirige ses « Girls Stars » avec notamment Marjorie Hyams (vibraphone) et Mary Osborne (guitare). Marian McPartland et Vi Redd font de même.
Mais ces tentatives restent marginales et, trop souvent pour les musiciennes, à qualités égales, la notoriété reste moin- dre. Critique bien connu, Leonard Feather produit en 1954 une séance pour le label MGM qu'il intitule « Cats vs Chicks, a jazz battle of the sexes » et qui oppose (et mêle, pour une face) deux septettes : celui de Clark Terry (Lucky Thompson, Urbie Green, Horace Silver, Tal Farlow, Percy Heath, Kenny Clarke) et celui de Terry Pollard (Norma Carson, Corky Hale, Ber yl Booker, Mar y Osborne, Bonnie Wetzel, Elaine Leighton). La proposition est limite bon goût (hommes contre femmes) et il faut atten- dre 1958 pour que, toujours dans Down Beat, un autre cri- tique (Barry Ulanov) pose la question du jugement des musi- ciennes en fonction de leurs qualités musicales et non de leur sexe. Rejoignant ainsi une déclaration de Mar y Lou Williams : « vous devez jouer, c'est tout. Ils ne doivent pas penser à vous comme à une femme si vous jouez vraiment ».
Les plus en vue restent les pia- nistes : Patti Bown (pianiste de Quincy Jones durant les années soixante, jouée par Count Basie, J.J. Johnson), Alice McLeod Coltrane (remarquée chez Terry Gibbs avant son mariage avec John Coltrane), Valérie Capers (pianiste aveugle, disques rares sur le label Atlantic), Joanne Brackeen (joue et enregistre avec Joe Henderson, Stan Getz), Jessica Williams (pianiste attitrée du « Keystone Korner » de San Francisco à la fin des années soixante-dix, abondante et remar- quable discographie). Pianistes encore, mais surtout chef d'or- chestres, Carla Bley et Toshiko Akiyoshi ont su progressive- ment imposer leur musique.
Sur d'autres instruments se singularisent les organistes Shirley Scott (nombreux albums sur les labels Prestige et BlueNote), Rhoda Scott et Barbara Dennerlein ; les saxo- phonistes Barbara Donald, Jane Bunnett, Virginie Mayhew et Jane Ira Bloom (méconnue alors qu'elle est une des rares spécialiste, originale, du soprano) ; la tromboniste Janice Robinson (active au sein des orchestres de Thad Jones/Mel Lewis, Clark Terry et Gil Evans, elle co-dirige un quintet avec la corniste Sharon Freeman), Lindsay Cooper (hautbois, basson) ; les guitaristes Emily Remler, Monette Sudler et Leni Stern; les flûtistes Holly Hoffmann et Ali Ryerson ; les percussionnistes Cindy Blackman, Terry Lynne Carrington et Marilyn Mazur. La plupart d'entre elles sont, aujourd'hui encore, en activité.
augmentation et, de plus en plus, sur tous les instruments. Parallèlement, le mouvement vers une plus grande reconnais- sance des strictes qualités créa- tives des musiciennes de jazz se concrétise par une écoute un petit peu moins machiste et un jugement de valeur de plus en plus en lien avec le projet musi- cal proposé. Ce qui devrait d'ail- leurs être la seule règle et non une affaire de sexe (ou de mar- keting). Pas plus que de couleur de peau.
Moyennant quoi, la scène contemporaine du jazz et des musiques improvisées nous offre un nombre conséquent d'instrumentistes de talent dont il serait parfaitement idiot de se priver. Et puis cela présente l'avantage de rompre avec la tendance globalisante actuelle du marché qui cristallise sur une dizaine de noms la repré- sentativité totale du champ du jazz. Osons la diversité, bien plus riche que l'uniformité, la curiosité reste la source la plus sûre du bonheur de la décou- verte (non prescrite).
A écouter donc (liste non exhaustive) : Sophie Agnel, Lynne Aryale, Sylvie Courvoisier, Marilyn Crispell, Sophia Domancich, Bettina Kee, Nathalie Loriers, Perrine Mansuy, Rita Marcotuli, Myra Melford, Amina Claudine Myers, Junko Onishi, Michèle Rosewoman, Renée Rosnes, Ellyn Rucker, Irene Schweizer, Aki Takase, Christine Wodrascka, Rachel Z (piano) ; Myriam Alter, Carine Bonnefoy, Maria Schneider, Magali Souriau, Sylvia Versini (composition, chef d'or- chestres) ; Airelle Besson, Laurie Frink, Ingrid Jensen (trompette) ; Sophie Alour, Lisa Cat-Berro, Claire Daly, Alexandra Grimal, Christine Jensen, Géraldine Laurent, Jessica Lurie, Véronique Magdelenat, Tineke Postma, Maguelonne Vidal (saxophones) ; Regina Carter, Deborah Seffer (violon) ; Irene Aebi, Peggy Lee, Diedre Murray(violoncelle): Dominique Bouzon, Gail Thompson(flûte) ; Loren Mazzacane Connors, Mary Halvorson (gui- tare) ; Hélène Labarrière, Joëlle Léandre, Sarah Murcia, Giulia Valle (contrebasse) ; Béatrice Graf, Susie Ibarra, Sherrie Maricle, Anne Paceo, Micheline Pelzer, Julie Saur y (batterie) ; Hélène Breschand, Isabelle Ollivier (harpe).
Et que les oubliées veuillent bien me pardonner. Comme Jean Ferrat, je proclame avec le poète, que la femme est l'avenir du jazz.
http://www.allumesdujazz.com/Journal/articles/FEMMES_DE_JAZZ_37
PETITE HISTOIRE DES FEMMES (INSTRUMEN- TISTES) DANS LE JAZZ
Parallèlement au déferle- ment régulier de chan- teuses dans les bacs de ce qui subsiste de rayons jazz, on assiste à l'apparition tout aussi régulière de musiciennes accé- dant à une réelle notoriété. Le relais médiatique du phéno- mène par les revues spécialisées (ou non) laisse ainsi penser que, addition faite des vocalistes et des instrumentistes, le jazz se féminise.
Or, c'est un fait, qu'un sur vol de la littérature, des dic- tionnaires et autres encyclopé- dies qui jalonnent l'histoire du jazz, prouve à l'évidence qu'à l'exception de quelques grandes voix le panthéon du jazz n'affiche qu'une très pauvre représentation féminine.
En témoigne aussi la récente antho- logie « Les Géants du Jazz », pro- posée à ses lecteurs par le jour- nal Le Monde : sur quarante élus, quatre chanteuses (Bessie Smith, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan). A ce niveau (les grands, les incon- tournables), la seule absence d'une Mary Lou Williams est proprement scandaleuse et montre bien comment, au fil du temps, silence et indifférence se sont ligués pour conser ver au jazz sa suprématie masculine. Il suffit pourtant de remonter honnêtement le temps jusqu'aux plus lointaines origines du jazz pour y rencontrer nombre d'es- timables et talentueuses instru- mentistes. Suivez le guide...
LES PIONNIÈRES
S'il est vrai que c'est au travers du chant (berceuses pour les enfants, chants religieux à l'église, chants de travail dans les plantations) que la musique est portée, dès la fin du XIX ème siècle, par les femmes noires et esclaves, c'est avec l'investisse- ment du « minstrel » par les Noirs qu'apparaissent les pre- mières instrumentistes (violon, banjo, tambourin). Dès les débuts du jazz à La Nouvelle- Orléans sont évoquées les per- sonnalités de Mamie Desdoumes, pianiste et chanteuse de blues, ainsi que d'Antonia Gonzales qui jouait du cornet. Mais les premières musiciennes à émer- ger sont des pianistes : Emma Barrett (la première à enregis- trer, avec Papa Celestin), Jeannette Salvant Kimball, Billie Pierce (aux côtés de Bessie smith, d'Alphonse Picou), Dolly Adams, Lovie Austin (chef d'or- chestre et arrangeuse), Cléo Brown, Dorothy Donegan et LilHardin Armstrong. Les divers témoignages les concernant font état de caractères bien trempés dans la mesure où, outre la difficulté à s'intégrer à un milieu d'hommes, ces femmes-là étaient généralement désavouées par leurs familles pour manque évident de respec- tabilité.
Il n'était pas rare pourtant que le jazz se joue en famille : Irma, soeur aînée de Lester Young jouait du saxophone avec ses frères ; tout comme Léontine (piano) et Marjorie (saxo- phone) Pettiford ; ou encore Norma Teagarden (piano).
LA SWING ERA ET LES ORCHESTRES DE FEMMES
Avec la « swing era » et dans les années qui précèdent la grande dépression (1930) va se développer un grand nombre d'orchestres entièrement fémi- nins. Ils se produisent dans les théâtres, les dancings et sont, pour la plupart, dévolus à la danse. Si leurs qualités musi- cales sont indéniables, il n'est pas certain qu'elles soient le seul critère de leur engage- ment. Les employeurs y voient un côté attractif et tiennent lar- gement compte du physique des musiciennes (cf. le film de Billy Wilder, Some Like It Hot).Progressivement, et la crise économique n'arrange pas les choses, les musiciennes sont partagées entre faire de la musique et gagner de l'argent. Elles deviennent une concur- rence pour les musiciens. Dans ce contexte, la ségrégation noir/blanc se double de celle homme/femme. C'est ainsi que Blanche Calloway est délaissée, au profit de son frère Cab, par Ir ving Mills alors impresario du Cotton Club. Elle constituera cependant un orchestre remar- quable avec des musiciens comme Ben Webster, Vic Dickenson, Clyde Hart et Cozy Cole, mais le succès restera moindre.
A noter que le développement de ces orchestres de femmes ne se fait pas sans débat. Un cri- tique écrit dans la revue Down Beat que les femmes ne dispo- sent pas d'un certain nombre de qualités indispensables au jazz, notamment qu'elles ne swin- guent pas. Ce qui lui vaut quelques répliques cinglantes de musiciennes dans le numéro suivant.
Au-delà de ces difficultés, un certain nombre d'orchestres de femmes connaissent leur part de succès : celui d'Ina Ray
Hutton « and his Melodears » (musiciennes blanches), les « Harlem Playgirls » (musiciennes noires) et, surtout, «The International Sweethearts of Rhythm », sans doute le meilleur. Il doit beau- coup au talent d'arrangeuse de la trompettiste Edna Williams, puis à Anna Mae Winburn qui lui succède à la tête de la forma- tion et bénéficie des arrange- ments de Eddie Durham. L'orchestre, mixte au plan racial, connaîtra de sérieux pro- blèmes lors de ses déplacements dans le Sud mais se produira jusqu'en 1948, époque où, comme l'ensemble des grands orchestres, les Sweethearts subissent le changement de mode et le contrecoup de la fin de la guerre au plan écono- mique.
De ces ensembles féminins émergent quelques personnali- tés solistes : Dolly Jones, Ernestin « Tiny » Davis, Estella Slavin, Valaida Snow (« Queen of the trumpet »), Jane Sager (trompette) ; Irma Young, L'Ana Webster, Viola Burnside (saxophone) ; Edythe Turham, Mar y Colston Kirk, Doris Peavey (piano).
DE L'APRÈS-GUERRE AUX SIXTIES
Avec l'avènement du « be bop » une nouvelle génération de musiciennes se manifeste. A ce stade, il convient de s'attarder sur l'une des figures essentielles de ce survol de l'histoire du jazz au féminin : Mary Lou Williams. Depuis l'enregistrement de son solo de piano (Night Life, 1930) et sa participation active à l'orchestre d'Andy Kirk (les « Twelve Clouds of Joy », dont elle signe les plus beaux arrangements), elle bénéficie du plus grand respect des musi- ciens (Duke Ellington) et en particulier des jeunes boppers (Thelonious Monk, Dizzy Gillespie, Herbie Nichols). Attentive à toutes les évolutions du jazz, qu'elle encourage, elle n'hésitera pas (en 1977) à se produire aux côtés de Cecil Taylor. Musicienne de tout pre- mier plan, égale des plus grands, elle aurait eu 100 ans cette année (comme Django!). Son écoute est indispensable et pas seulement dans la perspec- tive de réévaluation de cet arti- cle.De ces années d'après-guerre, on se doit de retenir quelques autres pianistes exception- nelles. D'abord, toujours en activité, Marian McPartland et Barbara Carroll. Puis aussi Jutta Hipp (3 albums sur Blue Note), Lorraine Geller, Bertha Hope et
Pat Moran. Sur les autres instruments se
sont distinguées : Norma Carson, Jean Starr, Clora Bryant (trom- pette) ; Willene Barton, Kathleen Stobart, Vi Redd (saxophone) ; Melba Liston (trombone) ; Marjorie Hyams, Terry Pollard (vibraphone) ; Mary Osborne (guitare) ; Corky Hale, Dorothy Ashby (harpe) ; Vivian Garry, June Rotenberc, Lucile Dixon (contrebasse) ; Bridget O'Flynn, Rose Gottesman, Elaine Leighton (batterie).
La fin de la seconde guerre mondiale renvoie les femmes au foyer et aux tâches domes- tiques. Nombre de musiciennes se « sacrifient » pour élever les enfants et stoppent leur car- rière. Certaines choisissent de la poursuivre et, pour pallier à l'in- suffisance de sollicitations de la part de leurs confrères mâles, renouent avec l'alternative des orchestres de femmes. Mais cette fois, plutôt en petites for- mations. C'est le cas de Vi Burnside, Flo Dreyer et de Beryl Booker qui joue, sur la 52ème Rue à New York, avec un excel- lent trio complété par Bonnie Wetzel (contrebasse) et Elaine Leighton (batterie). Mary Lou Williams dirige ses « Girls Stars » avec notamment Marjorie Hyams (vibraphone) et Mary Osborne (guitare). Marian McPartland et Vi Redd font de même.
Mais ces tentatives restent marginales et, trop souvent pour les musiciennes, à qualités égales, la notoriété reste moin- dre. Critique bien connu, Leonard Feather produit en 1954 une séance pour le label MGM qu'il intitule « Cats vs Chicks, a jazz battle of the sexes » et qui oppose (et mêle, pour une face) deux septettes : celui de Clark Terry (Lucky Thompson, Urbie Green, Horace Silver, Tal Farlow, Percy Heath, Kenny Clarke) et celui de Terry Pollard (Norma Carson, Corky Hale, Ber yl Booker, Mar y Osborne, Bonnie Wetzel, Elaine Leighton). La proposition est limite bon goût (hommes contre femmes) et il faut atten- dre 1958 pour que, toujours dans Down Beat, un autre cri- tique (Barry Ulanov) pose la question du jugement des musi- ciennes en fonction de leurs qualités musicales et non de leur sexe. Rejoignant ainsi une déclaration de Mar y Lou Williams : « vous devez jouer, c'est tout. Ils ne doivent pas penser à vous comme à une femme si vous jouez vraiment ».
EN ROUTEVERSL'ÉGALITÉ, DE LA FRATERNITÉ À LA COMMUNAUTÉ (1960-1990)
Les musiciennes qui ont émergé depuis les années soixante présentent une grande diversité de styles et d'ap- proches. Certaines vont utiliser et accompagner la montée en puissance du féminisme et des mouvements de libération de la femme. D'autres prennent en charge l'organisation de festi- vals ou de concerts, investissent les lieux dévolus aux musiciens. Davantage que dans le passé, elles vont faire leur place au sein de diverses formations grâce à leurs seules qualités musicales et acquérir une plus large reconnaissance, même si les résistances restent très importantes.Les plus en vue restent les pia- nistes : Patti Bown (pianiste de Quincy Jones durant les années soixante, jouée par Count Basie, J.J. Johnson), Alice McLeod Coltrane (remarquée chez Terry Gibbs avant son mariage avec John Coltrane), Valérie Capers (pianiste aveugle, disques rares sur le label Atlantic), Joanne Brackeen (joue et enregistre avec Joe Henderson, Stan Getz), Jessica Williams (pianiste attitrée du « Keystone Korner » de San Francisco à la fin des années soixante-dix, abondante et remar- quable discographie). Pianistes encore, mais surtout chef d'or- chestres, Carla Bley et Toshiko Akiyoshi ont su progressive- ment imposer leur musique.
Sur d'autres instruments se singularisent les organistes Shirley Scott (nombreux albums sur les labels Prestige et BlueNote), Rhoda Scott et Barbara Dennerlein ; les saxo- phonistes Barbara Donald, Jane Bunnett, Virginie Mayhew et Jane Ira Bloom (méconnue alors qu'elle est une des rares spécialiste, originale, du soprano) ; la tromboniste Janice Robinson (active au sein des orchestres de Thad Jones/Mel Lewis, Clark Terry et Gil Evans, elle co-dirige un quintet avec la corniste Sharon Freeman), Lindsay Cooper (hautbois, basson) ; les guitaristes Emily Remler, Monette Sudler et Leni Stern; les flûtistes Holly Hoffmann et Ali Ryerson ; les percussionnistes Cindy Blackman, Terry Lynne Carrington et Marilyn Mazur. La plupart d'entre elles sont, aujourd'hui encore, en activité.
LA SITUATION AUJOURD'HUI
Il semble (bénéfice de la mise en place, depuis les années 80, de structures de formations nombreuses et efficaces) que le nombre de musiciennes soit enaugmentation et, de plus en plus, sur tous les instruments. Parallèlement, le mouvement vers une plus grande reconnais- sance des strictes qualités créa- tives des musiciennes de jazz se concrétise par une écoute un petit peu moins machiste et un jugement de valeur de plus en plus en lien avec le projet musi- cal proposé. Ce qui devrait d'ail- leurs être la seule règle et non une affaire de sexe (ou de mar- keting). Pas plus que de couleur de peau.
Moyennant quoi, la scène contemporaine du jazz et des musiques improvisées nous offre un nombre conséquent d'instrumentistes de talent dont il serait parfaitement idiot de se priver. Et puis cela présente l'avantage de rompre avec la tendance globalisante actuelle du marché qui cristallise sur une dizaine de noms la repré- sentativité totale du champ du jazz. Osons la diversité, bien plus riche que l'uniformité, la curiosité reste la source la plus sûre du bonheur de la décou- verte (non prescrite).
A écouter donc (liste non exhaustive) : Sophie Agnel, Lynne Aryale, Sylvie Courvoisier, Marilyn Crispell, Sophia Domancich, Bettina Kee, Nathalie Loriers, Perrine Mansuy, Rita Marcotuli, Myra Melford, Amina Claudine Myers, Junko Onishi, Michèle Rosewoman, Renée Rosnes, Ellyn Rucker, Irene Schweizer, Aki Takase, Christine Wodrascka, Rachel Z (piano) ; Myriam Alter, Carine Bonnefoy, Maria Schneider, Magali Souriau, Sylvia Versini (composition, chef d'or- chestres) ; Airelle Besson, Laurie Frink, Ingrid Jensen (trompette) ; Sophie Alour, Lisa Cat-Berro, Claire Daly, Alexandra Grimal, Christine Jensen, Géraldine Laurent, Jessica Lurie, Véronique Magdelenat, Tineke Postma, Maguelonne Vidal (saxophones) ; Regina Carter, Deborah Seffer (violon) ; Irene Aebi, Peggy Lee, Diedre Murray(violoncelle): Dominique Bouzon, Gail Thompson(flûte) ; Loren Mazzacane Connors, Mary Halvorson (gui- tare) ; Hélène Labarrière, Joëlle Léandre, Sarah Murcia, Giulia Valle (contrebasse) ; Béatrice Graf, Susie Ibarra, Sherrie Maricle, Anne Paceo, Micheline Pelzer, Julie Saur y (batterie) ; Hélène Breschand, Isabelle Ollivier (harpe).
Et que les oubliées veuillent bien me pardonner. Comme Jean Ferrat, je proclame avec le poète, que la femme est l'avenir du jazz.
http://www.allumesdujazz.com/Journal/articles/FEMMES_DE_JAZZ_37
1 commentaire:
Merci pour cet article très documenté ! On en apprend beaucoup. Merci aussi de (re)mettre les talents de toutes ces femmes à l'honneur.
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