En plus il y avait Ellery Eskelin au saxophone; Eskelin jouait à Junas pendant le festival2010
JACOB SACKS FET ELLERY ESKELIN - CORNELIA STREET CAFE NY
La salle du Cornelia Street Café, au sous-sol du restaurant, est toute en longueur. Quelques petites tables sont disposées de part et d’autre de cette longue cave et, au bout, la scène.
Coincé sur la gauche, le piano - qui prend la moitié de la place – devant lequel s’installe Jacob Sacks. Le reste de l’espace, c’est pour Vinnie Sperrazza à la batterie,Michael Formanek à la contrebasse et Ellery Eskelin au sax ténor. Au programme, avant-garde et musique improvisée.
Formanek, grand et costaud, lance une ligne de basse, très mouvante. Sperrazza claque d’autres rythmes. Sacks esquisse les harmonies et Eskelin ornemente. «Ha !», ce premier morceau, est une route à quatre bandes sur laquelle les musiciens accélèrent, ralentissent, passent devant, changent de voie… s’amusent. Précis, vif et surprenant. Du grand art.
Puis on revient à l’introspection avec «Plan» (?) de David Binney. Sacks égraine avec parcimonie les touches de son piano. Le temps s’étire, le silence joue son rôle, et la note, surprenante, celle que l’on n’attendait pas, surgit. La musique se fait très impressionniste, voire très minimaliste. La pulsation est intérieure. Chaque musicien respire le temps.
Après ces deux morceaux originaux, le quartette se lance dans une version de «Just One Of Those Things». Bien sûr, cette reprise ne peut être conventionnelle. Les quatre musiciens s’amusent à la déstructurer, à la découdre, à la désarticuler. Pourtant, elle ne manque ni de punch ni de groove. Eskelin s’embarque dans un solo énergique et très inspiré. Il y a chez ce saxophoniste une profonde base traditionnelle dont il se sert pour recréer un son très actuel. Il nous offre une vision très contemporaine du blues et du swing. On décèle presque chez lui des accents de Lester Young ou de Coleman Hawkins. Tout cela dans un vocabulaire très actuel et totalement libéré. Jacob Sacks, qui possède lui aussi un touché très particulier et très personnel, embraye sur la ligne ouverte par le saxophoniste. Son intervention est redoutable. Il plaque les accords, plus vite et toujours plus fort. Il reprend la mélodie - presque à l’envers - ou en esquisse juste les lignes de force. Vinnie Sperrazza et Michael Formanek, quant à eux, semblent adopter un autre point de vue. Tout aussi décalé. Tout aussi étonnant. Tout aussi juste. Cette relecture est éblouissante d’idées et de plaisir.
Le quartette propose - et trouve - toujours le parfait dosage entre musique contemporaine, une pointe de free jazz et le blues. Une nouvelle new thing en quelque sorte.
Ce jazz s’écoute à plusieurs niveaux. On peut y entendre des thèmes assez formels sur lesquels on accroche une bonne dose de modernisme… à moins que ce ne soit l’inverse. Mais bon sang, ces gars savent d’où ils viennent. Ils se nourrissent des racines profondes du jazz et du blues pour en faire fleurir des fruits totalement nouveaux. Les reliefs, les aspérités et les contrepieds constants, nous perdent et nous excite. Et Jacob Sacks et ses compagnons s’amusent à enlever ce glacis qui pourrait nous être trop confortable. Ils nous obligent à rester en alerte. Les musiciens placent chaque note au millimètre, au bon timing. Et chacun garde sa façon de s’exprimer. Au final, toutes ces fortes personnalités n’en font plus qu’une.
Alors, pour le plaisir, le quartette reprend encore «We See» de Monk (incontournable Monk!) dans une version étonnante, comme pour prouver que le jazz est une éternelle remise en question.
Une conception à laquelle on ne peut qu’adhérer.
A+
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