dimanche 12 mai 2013

Un peu d'histoire de jazz




Le jazz selon Marcel Fleiss

MARCEL FLEISS

Marcel Fleiss, le fondateur de la galerie 1900-2000, est l’auteur de mythiques séries de photos de Jazzmen. Il raconte pour La Règle du jeu sa passion pour le jazz et l’histoire de sa riche collection.

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Marcel Fleiss dans sa galerie 1900-2000, rue Bonaparte à Paris. Photo : Yann Revol
J’ai eu la chance d’habiter dans le New York du début des années 50. Mes parents m’avaient fait loger chez des amis à eux, pour que j’apprenne l’anglais en même temps que le métier familial, pelletier. Cela m’a permis de connaître les jazz clubs de l’époque, même si je n’avais que 17 ans. Au Birdland, on m’avait d’abord refusé l’entrée : puisqu’ils servaient de l’alcool, il fallait, en principe, être plus âgé. Mais j’ai promis au patron de l’époque, Oscar Goodstein, de ne pas poser de problèmes et de ne boire que du Coca ; alors il m’a laissé entrer.
Ma passion pour le jazz avait commencé à Paris : j’allais souvent dans la cave du Tabou et au Club Saint-Germain – la rue des Lombards n’existait pas encore. À New York, j’étais comblé : c’était the right place, at the right moment. J’ai pu observer la révolution du jazz des années 50, et connaître des lieux et des concerts mythiques, parfois même non-programmés.
J’en ai profité autant que je le pouvais : j’ai demandé, et obtenu, la permission de faire des photos au Birdland et dans d’autres boîtes de jazz. Jusque-là, je prenais surtout des photos de mes amis ; parfois de mes voyages, puisque mon père m’envoyait me former de par le monde (Alaska, URSS…).
Je n’avais pas vraiment de concurrence. Quelques photographes de salle existaient, mais ils ont rapidement compris que je ne cherchais pas à les remplacer. J’ai même suppléé à titre honorifique le photographe du Birdland, lorsqu’il ne pouvait venir.
Charles Delaunay et Thelonious Monk, coulisses de la salle Pleyel, 1954
Charles Delaunay et Thelonious Monk, coulisses de la salle Pleyel, 1954
Mon bonheur a aussi été de connaître Charles Delaunay, petit-fils de Robert Delaunay et directeur de la revue Jazz Hot, aujourd’hui la plus ancienne revue française de Jazz en activité, qui publiait notamment Maurice Henry – que j’ai eu l’opportunité d’exposer par la suite – et Boris Vian.
Je lui ai proposé mes photos, et il est allé jusqu’à m’accorder une colonne dans sa revue : Les nouvelles d’Amérique, où j’énumérais et illustrais l’actualité du jazz new-yorkais. Je n’étais pas rémunéré : je n’en avais pas réellement besoin, et je trouvais honteux de demander à être payé pour quelque chose qui me faisait autant plaisir.
Ces articles m’ont permis de faire sortir de l’ombre quelques musiciens : j’ai écrit le premier papier en France sur Charles Mingus, et ai été un des premiers – sinon le premier – à parler de Gigi Gryce, George Wallington et Charlie Smith.
Certains de mes papiers ont été co-signés par un certain Jacques Henry, qui n’était autre que Ny Renaud qui souhaitait rester anonyme – je pense que, cinquante ans après, on peut le dire.
Intrigués par l’intérêt que je leur portais, certains jazzmen m’ont demandé de les faire engager pour des concerts à Paris. Mes photographies ont pu servir à ces artistes de tremplin pour la France.
Il y avait un véritable attrait pour Paris, plus particulièrement pour Saint-Germain (c’est là qu’étaient les bonnes salles) ; ils parlaient aussi souvent des parfums français, et goûtaient le vin de Bordeaux. Le problème était que les clubs n’avaient pas de moyens : ils ne pouvaient se permettre d’offrir le voyage aux musiciens, et se contentaient donc de profiter de la venue de certains d’entre eux. J’ai essayé d’apporter mon aide chaque fois que j’en avais l’occasion, mais il faut dire que cela aurait été très compliqué sans Henri et Ny Renaud – Henri jouait au Tabou ; quant à Ny, elle était la tête pensante. J’étais aussi très ami avec le directeur des Disques Vogue, Léon Kaba, et j’essayais de lui faire enregistrer un disque lorsqu’un musicien venait à Paris.


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