CD discuté par Denis Desassis sur CITIZEN JAZZ
Songs, No Songs
Denis Badault (p, comp), Tom Arthurs (tp), Régis Huby (vl), Sébastien Boisseau (b).
Ce disque subjugue dès la première écoute. Mais pourquoi s’en étonner ? Il y a un peu plus de deux ans, en mars 2011, Citizen Jazz saluait la parution de la première production, sobrement intitulée H3B, d’un quartet acoustique sans batterie placé sous la férule de Denis Badault, une formation originale dont la géométrie paritaire et les subtils accords de voix aboutissaient à une musique à la fois ambitieuse et fluide. Un univers intimiste, une quête de couleurs volontiers impressionnistes, un laboratoire des sons dont la créativité était des plus réjouissantes.
D’abord connu (et reconnu) en 1982 comme créateur de la Bande à Badault, un ensemble éclectique de treize musiciens, le pianiste sera choisi quelque temps plus tard, en 1986, par François Jeanneau pour intégrer le premier Orchestre National de Jazz aux côtés d’Andy Emler, avant d’en être nommé directeur pour trois saisons en 1991. Badault est un pédagogue, aussi actif en matière de composition que d’improvisation, amoureux de danse contemporaine et d’électronique ; mais il est aussi (surtout ?) l’animateur de petites formations comme le Trio Bado (avec Olivier Sens et François Merville), les Trois Claviers avec Andy Emler et Emmanuel Bex et, bien sûr, le quartet H3B, découvert en 2009 lors de la création de BadOxymore avec l’Orchestre National de Montpellier.
Songs, No Songs, publié à l’automne 2012, est donc le deuxième chapitre du roman H3B. Le titre du disque renvoie à la méthode employée : ces treize pièces sont soit écrites, les mélodies se voulant alors plus ou moins raffinées (les « songs »), dans un souci du son et d’une forme assez concise, soit des improvisations libres (les « no songs »), propices aux expérimentations. Il y a donc dans cet album intimiste une construction élaborée reposant sur le quadrilatère harmonieux que constituent, aux côtés de Badault, Régis Huby au violon [1], Sébastien Boisseau à la contrebasse et Tom Arthurs à la trompette. Ce quartet [2], est d’une grande justesse ; la scénarisation – l’alternance compositions/improvisations – s’efface très vite et on ne perçoit plus qu’un seul ensemble, lyrique, volontiers romantique, et plutôt atypique, dont les textures entremêlées sont de toute beauté. Aucune facilité dans l’exécution, mais un travail savant de (re)création d’une musique contemporaine aux atours élégants. Et bien malin qui, sans les notes de pochette, saura ou voudra démêler les fils de ces deux démarches complémentaires (« Ré For Régis », composé ou improvisé ?). Bien sûr, les compositions mettent en avant un chant vibratoire, mais aussi des rythmes, des scansions parfois hypnotiques, aux confins du sérialisme, et les improvisations aux contours plus sinueux se glissent entre elles comme de stimulants jeux de questions et réponses entre instruments, des espaces de recherche où le travail de modelage des sons relève de l’expérimentation, avec son cortège d’incertitudes. Qu’on se rassure toutefois : les deux chemins ne laissent jamais l’auditeur sur le bas-côté ; tantôt parallèles, tantôt imbriqués, il sont toujours en mouvement.
Le résultat est constamment magnifique - une rivière qui prendrait sa source assez loin, au début du XXe siècle, avant de s’oxygéner dans les inventions du présent. Une musique de notre temps, qu’on peut appeler jazz par commodité mais qui s’échappe de son cadre dès que l’occasion se présente et revêt alors les couleurs de la musique de chambre. Impossible d’évoquer un musicien plutôt qu’un autre : on l’a dit, l’idée même de hiérarchie est absente dans cet équilibre parfait, mis en valeur par une prise de son impeccable. Bien difficile aussi de citer telle pièce plus qu’une autre car le disque est à prendre comme un tout : même si le thème de « L’envie » et son gospel sous-jacent où chaque instrument semble tutoyer les anges donnent la chair de poule ; même si, dans la foulée, « Veloce And Piano » s’embarque dans une course débridée qui contraste avec malice avec ce qui précède. Une musique où tout est bon à prendre...
Denis Badault réussit son opération séduction : Songs, No Songs est un disque aux tonalités vespérales dont on ne parvient pas facilement à se séparer. Il laisse parfois imaginer une conversation animée où se feraient entendre les voix de Debussy, Schoenberg et Chet Baker, dans la dégustation d’une « 7e huître » que leur auraient apportée Stravinski et Steve Reich. Il reste de la place à leur table, et le pianiste s’y est d’ailleurs installé avec gourmandise en compagnie de ses comparses.
D’abord connu (et reconnu) en 1982 comme créateur de la Bande à Badault, un ensemble éclectique de treize musiciens, le pianiste sera choisi quelque temps plus tard, en 1986, par François Jeanneau pour intégrer le premier Orchestre National de Jazz aux côtés d’Andy Emler, avant d’en être nommé directeur pour trois saisons en 1991. Badault est un pédagogue, aussi actif en matière de composition que d’improvisation, amoureux de danse contemporaine et d’électronique ; mais il est aussi (surtout ?) l’animateur de petites formations comme le Trio Bado (avec Olivier Sens et François Merville), les Trois Claviers avec Andy Emler et Emmanuel Bex et, bien sûr, le quartet H3B, découvert en 2009 lors de la création de BadOxymore avec l’Orchestre National de Montpellier.
Songs, No Songs, publié à l’automne 2012, est donc le deuxième chapitre du roman H3B. Le titre du disque renvoie à la méthode employée : ces treize pièces sont soit écrites, les mélodies se voulant alors plus ou moins raffinées (les « songs »), dans un souci du son et d’une forme assez concise, soit des improvisations libres (les « no songs »), propices aux expérimentations. Il y a donc dans cet album intimiste une construction élaborée reposant sur le quadrilatère harmonieux que constituent, aux côtés de Badault, Régis Huby au violon [1], Sébastien Boisseau à la contrebasse et Tom Arthurs à la trompette. Ce quartet [2], est d’une grande justesse ; la scénarisation – l’alternance compositions/improvisations – s’efface très vite et on ne perçoit plus qu’un seul ensemble, lyrique, volontiers romantique, et plutôt atypique, dont les textures entremêlées sont de toute beauté. Aucune facilité dans l’exécution, mais un travail savant de (re)création d’une musique contemporaine aux atours élégants. Et bien malin qui, sans les notes de pochette, saura ou voudra démêler les fils de ces deux démarches complémentaires (« Ré For Régis », composé ou improvisé ?). Bien sûr, les compositions mettent en avant un chant vibratoire, mais aussi des rythmes, des scansions parfois hypnotiques, aux confins du sérialisme, et les improvisations aux contours plus sinueux se glissent entre elles comme de stimulants jeux de questions et réponses entre instruments, des espaces de recherche où le travail de modelage des sons relève de l’expérimentation, avec son cortège d’incertitudes. Qu’on se rassure toutefois : les deux chemins ne laissent jamais l’auditeur sur le bas-côté ; tantôt parallèles, tantôt imbriqués, il sont toujours en mouvement.
Le résultat est constamment magnifique - une rivière qui prendrait sa source assez loin, au début du XXe siècle, avant de s’oxygéner dans les inventions du présent. Une musique de notre temps, qu’on peut appeler jazz par commodité mais qui s’échappe de son cadre dès que l’occasion se présente et revêt alors les couleurs de la musique de chambre. Impossible d’évoquer un musicien plutôt qu’un autre : on l’a dit, l’idée même de hiérarchie est absente dans cet équilibre parfait, mis en valeur par une prise de son impeccable. Bien difficile aussi de citer telle pièce plus qu’une autre car le disque est à prendre comme un tout : même si le thème de « L’envie » et son gospel sous-jacent où chaque instrument semble tutoyer les anges donnent la chair de poule ; même si, dans la foulée, « Veloce And Piano » s’embarque dans une course débridée qui contraste avec malice avec ce qui précède. Une musique où tout est bon à prendre...
Denis Badault réussit son opération séduction : Songs, No Songs est un disque aux tonalités vespérales dont on ne parvient pas facilement à se séparer. Il laisse parfois imaginer une conversation animée où se feraient entendre les voix de Debussy, Schoenberg et Chet Baker, dans la dégustation d’une « 7e huître » que leur auraient apportée Stravinski et Steve Reich. Il reste de la place à leur table, et le pianiste s’y est d’ailleurs installé avec gourmandise en compagnie de ses comparses.
[1] Comme son prédécesseur, le disque est publié chez Abalone Productions, le label de Régis Huby.
[2] Dont le trompettiste était à l’origine Laurent Blondiau, ce qui explique les initiales H3B.
http://www.citizenjazz.com/Denis-Badault-H3B.html
http://www.citizenjazz.com/Denis-Badault-H3B.html
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// Publié le 6 mai 2013
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