Carla Bley Docteur Honoris Causa de l’Université de Toulouse
Jeudi 26 mars, le Président de l’Université de Toulouse 2 Le Mirail a remis les insignes de Docteur Honoris Causa à Carla Bley, « musicienne, compositrice et interprète de jazz ». Dans la tradition universitaire française, ce titre, généralement parcimonieusement attribué, est « réservé exclusivement à des personnalités étrangères en raison de services éminents rendus aux Sciences, aux Lettres et aux Arts ».
Cette cérémonie, très ritualisée, surprend toujours ceux qui y assistent pour la première fois. Le Recteur, le Président de l’Université, les professeurs, assis derrière la chaire de l’amphithéâtre, sont en grande tenue « médiévale » : longues toges noires et jaunes avec rangs d’hermine. Chacun à son tour prononce un éloge plus ou moins académique de la personnalité honorée… L’impétrante attend son tour l’air grave et soucieux… car, à la fin, elle aussi doit dire quelques mots. Habituellement, tout cela, est fort guindé. Mais les responsables de la filière jazz du département musique de l’Université de Toulouse le Mirail (unique en son genre dans l’hexagone) avaient conçu le déroulement de la cérémonie de manière à dynamiser et à égayer les pesants us et coutumes traditionnels. Dans l’amphi il y avait en effet un big band (composé et dirigé par des étudiants de la filière) qui interpréta trois belles et fortes séquences musicales autour de compositions originales écrites en hommage à Carla. Celle ci, sans une once de flagornerie, après une écoute attentive, souligna publiquement l’originalité et la qualité des compositions et des arrangements proposés par ces jeunes gens. Jésus Aguila, professeur de musicologie, dans son éloge bien troussé, commit pourtant (l’émotion ?) deux lapsus linguae qui déclenchèrent l’hilarité générale. Sa langue fourcha, par deux fois et Carla Bley devint… Carla Bruni ! Steve Swallow le compagnon de Carla, ému et attentif tout au long de la cérémonie, me glissa alors malicieux: « Le professeur doit plutôt être en train de penser inconsciemment à Aldo Romano qui a joué certes avec Carla Bley mais… qui a aussi enregistré avec Carla Bruni ! ».
Dans son allocution J. Aguila évoqua longuement le fait que Carla Bley était une véritable autodidacte qui refusa avec ténacité de suivre des cours de piano. Elle « mordit même la jambe de son premier et unique professeur, sa mère, à l’âge de cinq ans pour lui signifier qu’elle refusait catégoriquement ses leçons ! ». En un lieu où l’on dispense des savoirs jusqu’à bac plus 8 (et au delà), il était donc particulièrement savoureux et paradoxal d’honorer une artiste qui ne suivit jamais un cursus académique ou universitaire. Dans son court discours de remerciements, prononcé entièrement en français, Carla ne manqua pas, avec beaucoup d’humour, de souligner ce paradoxe. Elle débuta même son intervention en apportant une « importante » précision ! « Cher professeur, tout était juste dans votre discours sauf un point : j’ai mordu ma mère à l’âge de six ans et pas de cinq ! ». Elle indiqua ensuite que plusieurs fois, consciente de ses lacunes, elle avait eu, tout au long de sa carrière, des velléités de s’inscrire dans un conservatoire ou une université… Et, « Finalement », conclut-elle avec un large sourire, « sans avoir suivi (et subi !) aucun cursus supérieur … je suis aujourd’hui Docteur de l’Université! ». A l’heure des félicitations pour son excellente maîtrise de la langue française, Steve Swallow, nous dit, en souriant : « Elle était vraiment heureuse à l’idée d’être ainsi honorée, mais elle était aussi très inquiète. Je crois que je ne l’ai jamais vu répéter autant… Des heures et des heures elle a préparé ce petit discours… Beaucoup plus, en fait, me semble t-il, que pour des créations pour des festivals importants ! ».
La veille à Marciac, dans la belle salle de l’Astrada, Ludovic Florin (un éminent collègue de la rédaction de Jazz Magazine/Jazzman, enseignant au département Jazz de l’Université de Toulouse et cheville ouvrière de l’organisation de la cérémonie du Doctorat Honoris Causa) avait concocté, une journée d’études autour de Carla Bley. Dans une courte introduction biographique il ne manqua pas de rappeler, pour le plus grand plaisir de Jean-Louis Guilhaumon (le président de Jazz in Marciac, présent et attentif), que Carla avait joué ici. Puis Anne Legrand évoqua, dans une communication intitulée « Une musique pour la liberté », les engagements multiformes de Carla Bley. Politiques, bien sûr (Liberation Music Orchestra, déclarations anti-Bush) mais aussi « économiques » surtout dans les années 60 (pour une nouvelle approche, coopérative et hors bizness, de la production et de la diffusion des disques). Jean-Michel Court, enseignant aussi à Toulouse analysa avec moult exemples hilarants « L’humour dans la musique de Carla Bley ». Michel Laplace, montra quelle belle place Carla Bley réserve dans ses groupes et arrangements aux cuivres et enfin Ludovic Florin démontra de manière magistrale que « L’erreur est une source de création chez Carla Bley, créatrice pour le moins singulière au regard des règles académiques, classiques ou jazz ». Tous ces textes passionnants doivent faire l’objet d’une publication ultérieure.
Et si, pour nous faire patienter, Ludovic gratifiait Jazz Magazine/Jazzman de quelques « bonnes feuilles » avant la sortie de cet ouvrage ?
Pierre-Henri Ardonceau
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