lundi 12 septembre 2011

Chicago s'invite à Jazz à Junas (Robert Latxague)


Voilà 2 articles écrites par Robert Latxague sur notre Festival de Chicago 2011 apparues sur le Forum de JazzMagazine du mois de Septembre 2011


#2421

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Chicago s'invite à Jazz à Junas 1 Mois, 2 Semaines ago Karma: 17
Jazz à Junas, Junas (Gard), 20, 21 juillet
Denis Fournier (dm), Tomeka Reid (cello), Nicole Mitchell (fl), Hanah John Taylor (ts, fl), Bernard Santacruz (b)
Ahmad Jamal (p), Jammes Cammack (b), Herlin Riley (dm), Manolo Badrena
China Moses (voc), Raphael Lemonnier (p), Daniel Huck (as), Jean Pierre Derouard (dm), Fabien Marcoz (b),
Tom Harrell (tp, bu), Wayne Escoffery (ts), Ugoma Okegwo (p), Dany Grisset (p), Jonathan Blake (dm)


Comment relier Junas à Chicago ? Par le jazz évidemment. Telle est la gageure que le festival gardois a voulu relever pour sa 18e édition. En faisant appel à des musiciens qui ont un lien physique ou professionnel avec la ville américaine bien sur. En y associant des musiciens français pour des projets spécifiques également. En privilégiant enfin la relation avec l’AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians) dans le travail de perpétuation, de renouvellement et de création que poursuit l’association dans la ville des grands lacs du nord des Etats-Unis. Un projet ambitieux et original pour le festival de Junas. Une manière de pari.
Watershed, soit le partage des eaux, titre signifiant au possible, entre parfaitement dans la définition d’un tel cadre. Pour une jonction de deux lignes musicales autour de l’écriture et de l’improvisation Denis Fournier a invité deux musiciens de Chicago, et pas n’importe lesquels: le saxophoniste Hanah John Taylor, ancien leader de l’AACM ainsi que la flutiste Nicole Mitchell qui en est l’actuelle présidente. Un parti pris théorique qui demandait validation au travers d’une concrétisation formelle, évidemment. Pari tenu pour le batteur nîmois, avec une réalisation paradoxalement presque plus ancrée dans l’écriture que sur un matériau strictement tourné vers l’improvisation. Au plan percussion Fournier joue beaucoup sur la partie tambour, privilégiant les caisses de son set de batterie, manière idoine de caractériser la sonorité de l’orchestre. Au plan collectif il établit des tempos flottants, le groupe fabricant en simultané de beaux alliages de cordes (la basse poto mitan de Bernard Santacruz, les lignes croisées de l’étonnante violoncelliste Tomeka Reid) et de cuivres. Dans un tel contexte les deux faces exposées alternativement (fragile, aérienne ou dense pour la flute de Nicole Mitchell, façon force tranquille de Taylor) produisent un complément de lignes musicales continues ou brisées.
Ahmad Jamal ne se situe évidemment pas au niveau de ce type de problématique. Sa musique toujours très fortement ancrée au plan rythmique (Kaleidoscope) offre des séquences très construites à partir d’incessantes relances rythmiques. On ne peut à proprement pas parler de surprise, de nouveautés. On connaît l’art de Jamal sur son piano, la précision dans l’exposé, la puissance du toucher sur le clavier, le sens de la construction dans les thèmes ou les (désormais courtes) parties solo. Ce qui frappe néanmoins c’est bien la minutie qu’il manifeste à tout propos dans son rôle de leader, le pointillisme marqué dans la conduite de l’orchestre. Il distribue les rôles, instille les montées en tension, provoque à dessein les moments d’intensité puis d’apaisement. Sur scène le pianiste distille des petits signes de main comme autant de codes. De quoi guider ses musiciens, les placer successivement dans le travail collectif ou le développement solo. Assez étonnant sinon singulier tout de même de le voir (comme cadré dans un plan large de réalisation télé) fonctionner en permanence sur un regard exposé en triangle (piano/basse/batterie) d’échange et d’impulsion vis-à-vis de James Cammack et Herlin Riley. Pour communiquer avec Manolo Badrena situé dans son dos, le pianiste est obligé de se retourner ou carrément de se lever pour lui demander de placer un chorus de percussions. L’_expression_ scénique de l’orchestre d’Ahmad Jamal donne un produit jazz carré, dynamique, efficace en diable. Au point d’oublier les vertus de son seul art pianistique -il est vrai désormais sacralisé- au profit de la musique de l’orchestre.
China Moses parle beaucoup. Trop sans doute eu égard au temps de ses chansons. A Junas la chanteuse tenait à expliquer le pourquoi plus le comment du choix de son répertoire construit autour d’un hommage à ses chanteuses de jazz fétiches (Dinah Washington, Esther Philips, Mamy Philips) Au total une somme de justifications, d’explications de texte au sens propre comme au figuré, un brin de pédagogie, un verre d’émotion plus une dose de provoc sexy question attitude et posture. La recette d’un cocktail ainsi épicé ne remet pas en cause le savoir faire vocal. Simplement la répétition obsessionnelle du commentaire atténue l’impact du chant. Le rythme du show. Ses musiciens (y compris Raphael Lemonnier, pianiste arrangeur) en restent à une mise en place, à la nécessité de sa mise en orbite à elle. Conséquence : dans les parties solos, même Daniel Huck habituellement très volubile ne parvient pas toujours à suffisamment pousser le curseur. Quelques éclairs malgré tout : You’re crying autrefois arrangé par Quincy Jones ou Work Song de Nat Adderly
Tom Harrel est un homme à part. Tom Harrell reste un phénomène en tant que musicien de jazz. Il règne une étrange atmosphère autour d’un concert du trompettiste autiste. Il ne dit pas un mot. Il ne fait pas un geste, légèrement penché vers l’avant. Pour démarrer chaque morceau le voilà qui frappe du pied le rituel un, deux, un deux trois quatre ! Silhouette statuaire grise il ne bouge les lèvres que pour souffler dans sa trompette. A ce moment pourtant sa sonorité unique –tarte à la crème peut-être ! mais en un certain sens Harrel prolonge le sillon moelleux de la sonorité Chet Baker- au bugle en particulier, troue la nuit des carrières d’une surprenante brillance. La vérité musicale de Tom Harrel surgit exclusivement de l’intérieur comme un souffle qui en prolongerait un autre. Un sax très coltranien dans la puissance du son, l’élan lyrique, un batteur au physique de pilier de rugby maori plutôt singulier dans la finesse, la précision de ses interventions rythmiques, un son d’ensemble sans faille, au total un jazz carré (Ridin, River Samba) Osons la comparaison pour un repère dans l’histoire du jazz (pas forcément de facture chicagoanne soit dit en passant, mais dans un exposé brillant Alexandre Pierrepont, ethnologue musical a clairement explicité la mobilité, les points de passage et d’échange propre au champ jazzistique) Question qualité musicale le Tom Harrel Quintet figure des Messengers remis au goût du jour.

A suivre

Robert Latxague


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