Hamid Drake (dm), Nicole Mitchell (fl, pico), Michel Edelin (fl,, fl b), Harrison Bankead (b) Archie Shepp (ts, ss, voc), Tom Mc Clung (p), Jean Jacques Avenel (b), Hamid Drake (dm) + groupe Gnawa: Malika Gania (voc), Mahmoud Gania (voc, guembri), Abdellah El Gourd (voc, guembri) Chico Freeman (ts, ss, voc), Ivan Bridon (p), Rodrigo Rodriguez (perc), Francis Arnaud (dm), Yoel Soto (b) Eddy Clearwater (voc, g), Tom Crivellone (voc, g), Shoji Nato (hca, b), Steve Bass (dm)
A l’occasion de la dix huitième édition du festival Hamid Drake et Nicole Mitchell auront foulé la scène des carrières plus que quiconque. Sans doute parce que tous deux véhiculent au plus près l’esprit et la lettre du jazz de Chicago version AACM. Réunis au sein du trio du batteur, Indigo, ils ont invité Michel Edelin à se joindre à eux. Ainsi véhiculée par deux flutes la musique en ressort gonflée de sérénité façon voile sous l’alizé. Soulignées par un jeu de batterie marqué d’un sens de la nuance très aiguisé, les trames harmoniques ressortent simples, comme lissées et de ce fait portées à un certain degré d’évidence. Dans la construction d’un tel cadre, Michel Edelin autant que Nicole Mitchell participent d’un climat apaisé. Bornée par les murs de pierre des carrières, bercée par le souffle très contrôlé des deux flûtes, la musique estampillée Chicago soft échappe un instant au contexte historique typé blues ou wind city… Hamid Drake s’avère décidément un foutu batteur ! En ce qu’il s’adapte, impose sa griffe, déclenche à tout va selon le moment, le contexte. Avec Archie Shepp au gouvernail, sur deux ou trois thèmes servis en guise de hors d’œuvre il enfile sans crier gare le costume d’Elvin Jones. Son drumming à feu continu jaillit frappé d’une énergie primaire. Puis dès lors que les Gnawas entrent en en jeu il s’efface illico de l’avant scène histoire de tisser une toile de pulsions souples en arrière plan, frappe cymbales ou charleston histoire d’accentuer le battement binaire. L’art des musiciens gnawas porte à l’incantation, le rythme comme rituel codé en question-réponse. Archie Shepp au sax place son sur-lignage. Tel un soufflet de forge il attise les souffles, ici flatte les basses (ténor), là compresse les aigues (soprano). Au besoin jusqu’à l’incandescence. Chico Freeman lui joue les paradoxes. Fils d’un des saxophonistes icône de la ville (Von Freeman), sur la scène de Junas il choisit de sortir carrément du cadre chicagoan pour se présenter à la tête d’un combo « musica latina » (les musiciens issus des west-indies honnissent la formule toute faite latin jazz) truffé de percussions. De fait sans autre forme d’explication ni plus d’indication il entraine son auditoire sur des rythmes afro-cubains jusqu’au rap en passant par la balade ou le standard. Un itinéraire gorgé de couleurs, semé d’incessants changements de cap rythmiques qui appellent au voyage musical. Un parcours valorisé par la qualité intrinsèque de jeunes musiciens aux racines afro-américaines et caraïbes (Ivan Bridon, encore un pianiste cubain de qualité, Rodrigo Rodriguez explosif percussionniste colombien notamment, appuyé par Francis Arnaud, habituel batteur d’Eddy Louiss) Un moment phare : l’évocation de Moment’s Notice qu’il définit comme « un des morceaux les plus complexes du jazz que John Coltrane a pourtant écrit dans le studio en vint minutes seulement lors de la session de Blue Trane » Une conclusion singulière : un rap hardware en duo de voix Chico Freeman/Rodrigo Rodriguez. En ressort une (sur)impression diffuse : dans cette formule polymorphe Chico Freeman fait davantage jouer ses musiciens qu’il ne pratique, s’exprime lui-même. Dommage : on aurait aimé profiter plus et mieux de sa sonorité chaude, charnue. Du plaisir lié à son savoir ès jazz pluriel. Le blues d’Eddy Clearwater clôture le festival dans une nuit devenue frisquette malgré les lumières empourprées caressant les dalles de calcaire. Guitare acidifiée, voix gitane-whisky, harmonica en contrechant déchiré-déchirant : le blues électrisant servi alive and well de la part d’une de ses figuras encore en vie. Quoi de plus naturel en somme à propos d’un Chicago bien évoqué ? Métamorphosé en Petit Poucet du jazz, Stéphane Pessina-Dassonville, le boss–mot un peu dévoyé à propos d’un festival porté à bout de bras par d’increvables bénévoles- avait d’entrée voulu marquer, avec Chicago et après New York, une seconde borne dans le périple américain entamé par Jazz à Junas. Sur les accords de « Ce n’est qu’un au revoir… » il annonce au final que le prochain petit caillou devrait être semé dans les carrières en direction de la Nouvelle Orléans. On salive d’avance à la perspective d’une autre joyeuse jouissive prise de risque. En contre-pied manifeste d’un certain Wynton M., autre type de boss local ?...
Robert Latxague |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire