02/06/2010
En jazz, jamais de mauvais Humair
Pourquoi se retourner sur ses centaines de disques passés alors que la gestation du suivant se présente déjà? C'est par cette posture résolue que la musique improvisée française avance, et ce grâce à Daniel Humair, « sans doute un des plus grands batteurs du monde » selon le Dictionnaire du Jazz, la référence.
Le moteur des trios de Martial Solal au début des années soixante? C'est lui, le Genévois né en 1938. Et comme le pianiste Solal, il a vingt ans d'avance. Les visiteurs prestigieux de la capitale, de Lucky Thompson à Jim Hall, de Phil Woods à Lee Konitz? Tous le réquisitionnent sans exception. Seuls Sonny Rollins et Miles Davis sont passés à côté du soutien bouillonnant de ce disciple d'Elvin Jones qui jouait comme Tony Williams avant Tony Williams.
A partir des années 70, Humair renforce les époustouflants (si peu enregistrés, hélas) Units de Michel Portal. Je me souviens aussi des formations du Dreher, un club de la place du Châtelet, dans les années 80. Le gaucher naturel plaçait les éléments de la batterie de façon inhabituelle. Sans oublier les accessoires pour modeler le son, comme ce gonfleur de peaux. Sous sa baguette, la continuité rythmique et le tempo catapultent les solistes. Son art du timbre est unique : la batterie parle. Sans oublier la peinture, puisque ce sont ses dessins qui illustrent cette note.
La chanson n'est pas terminée. Avec deux compères en talent fou, Tony Malaby (saxophone ténor), et Bruno Chevillon (contrebasse), Humair propose à nouveau la musique d’un moment d’une vie. Mais il s'agit cette fois d'un disque-phare; d'un manifeste. Laissons la parole à leur ami commun le clarinettiste Michel Portal. Cet autre génie de l'improvisation signe le livret du CD :«Chacun est concentré au maximum, à l’écoute des autres, aucun n’est dépendant d’un texte, tout est en partage, chacun est responsable —dans le respect de l’autre. Résultat, une "intercréativité" si j’ose dire, plutôt qu’une interactivité. Pour tenir la gageure d’entrer dans un studio en s’engageant dans une aventure imprévisible, il importe de se choisir, pas seulement de s’apprécier, pas seulement d’aimer jouer.» Le virtuose évoque «une sorte d’ascèse avec le partage d’une même esthétique; les musiciens se montrent essentiellement tournés vers la recherche d’un moment de vérité.” Portal ne ressent «aucune austérité dans cette musique, mais une grande force expressive, à laquelle participe le plaisir de jouer ensemble dans la spontanéité et le sentiment de la liberté du jazz.» Concluant : «En nous menant de l’incantation à la transe obsessionnelle et sauvage, Humair lance et provoque des formes inouïes».
La période actuelle est propice, avec moins de mouvements affirmés et quelques individualités fortes. Le leader a titré le disque Pas de dense, enregistré par le label "Zig Zag Territoires". Avec ce disque, une autre époque de la composition spontanée française commence.
Interview de Daniel Humair
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