mélanie de biasio, drôle d’oiseau
Pop. La chanteuse belge, qui sort l’album «No Deal», a donné lundi le premier de ses trois concerts à Paris.
Son
poids de douceur en apesanteur et son sens de l’abstraction ont
réussi à mettre au diapason un Nord et un Sud souvent à couteaux
tirés. Mais outre ces écarts entre Flandre et Wallonie, comblés
par médias belges interposés, Mélanie de Biasio s’apprête aussi
à faire vaciller les convenances stylistiques avec son album en
lisière, No
Deal, déjà
disque d’or en Belgique. Le deuxième d’une carrière en forme de
quête et de partage où l’espace-temps ne répond pas à un
business plan, mais s’étire à souhait afin de s’offrir les
moyens de la maturation. Car la chanteuse et flûtiste ne transige
pas avec ses exigences. A commencer par l’envers du décor,
c’est-à-dire la production, à laquelle elle a consacré des nuits
blanches pour atteindre le but convoité.
Strates. Malgré
une trachéite persistante qui lui interdit toute promo en radio ou
télé, la Carolo-Bruxelloise à la petite trentaine a fait le
déplacement jusqu’à Paris une semaine avant son premier concert
parisien, afin d’éclairer notre lanterne sur le processus de
création de cet album ovni d’où perlent en filigrane des échos
de Nina Simone comme de Portishead, ou encore des silences à la Mark
Hollis (du groupe culte Talk Talk) et des faux airs soignés de
Mesparrow. Une bulle dense, à l’extrême concision, qui élève en
art véritable l’état de suspension. Après A
Stomach Is Burning, paru
sur le label belge Igloo en 2007 (distribué en France l’année
suivante par Abeille), Mélanie de Biasio ressent le besoin d’aller
plus loin dans la construction du prochain album, «intriguée
par les rouages de cette partie souterraine», en
pénétrant, cette fois, toutes les strates de l’élaboration
discographique. «Cela
m’a pris du temps pour aboutir, car j’avais besoin de trouver un
son qui donne suffisamment d’informations pour apporter un côté
actuel, et en même temps qu’il n’y ait pas cet aspect
hyperdéfini du son d’aujourd’hui qui me fatigue physiquement les
oreilles.»
Pour
ne pas lâcher prise, la musicienne entreprend la réalisation d’une
démo : «Un
mini-album en soi, car il était nécessaire que ce travail, que
j’allais proposer à la maison de disques, soit déjà la même
matière que je donnerais à mes musiciens au moment d’entrer en
studio.» Un
besoin de maîtriser la mécanique, que ce soit celle de son vélo
aussi bien que le vocabulaire de l’ingé-son : «Si
je tombe en panne, il me faut les outils parce que je ne veux pas
être comme un oiseau sans savoir où je suis.»
Il
ne faudra que trois jours en studio pour «jeter
la peinture sur la toile, travailler les couleurs et la texture avec
[ses] musiciens». A
l’œuvre, les mêmes deux claviéristes, Pascal Paulus et Pascal
Mohy, rencontrés au Conservatoire royal, rejoints dès les premières
tournées par le batteur Dré Pallemaerts, partenaire de Yusef
Lateef, que l’on avait déjà épinglé pour son architecture
sonore et la finesse de ses cymbales sur Pan
Harmonie, sorti
sur le label B-Flat des frères Belmondo(Libération du
5 octobre 2007). Mais après l’intense séquence, la chanteuse n’a
pas encore atteint son graal. Car il faudra aussi «défaire
le son, effacer des pistes, revoir l’instrumentation et admettre
que l’on n’a pas toutes les réponses».
Pour
regarder dans une autre direction et laisser décanter, la jolie
brunette prend conscience qu’elle a besoin de s’engager ailleurs,
hors processus créatif, en se tournant vers l’autre. Ce sera
l’éveil corporel en prison et la réinsertion sociale à travers
l’art pour personnes en décrochage, «une
démarche salvatrice pour moi-même et pour le disque», dit
la native de Charleroi aux origines italiennes, bercée dans son
enfance par Pavarotti et la Callas, que la grand-mère
paternelle, fan de grandes voix, écoutait à la radio. De sa ville
natale, elle dit : «C’est
un peu comme le vilain petit canard par rapport aux autres, mais elle
porte ses poussins car si la vie n’y est pas toujours facile, elle
forge aussi le caractère.»
«Poreux». Aujourd’hui,
elle produit nombre de ses créations au Rockerill, le centre d’art
underground établi sur le site des anciennes forges où ses deux
grands-pères travaillaient. Son style, elle préfère le définir
comme de «la
pop évolutive», plutôt
que du jazz, et le situer au rayon «rock
indé qui laisse une porte ouverte». Et
le live, quid de l’improvisation ? «La
setlist se décide quelques instants avant le concert. Où l’on
fait grandir les idées ensemble autour des thèmes. On construit les
morceaux de façon organique et on reste hyper poreux à l’instant.
C’est de la pure adrénaline.»
Bien
que pas gagné d’avance pour installer lundi soir le climat
clair-obscur de No
Deal dans
une Flèche d’or parisienne pleine comme un œuf et toujours aussi
suffocante, le voyage collectif a aussi embarqué l’auditoire,
spécialistes de médias jazz venus en nombre et les autres, dans son
sillage. Ainsi qu’avait flashé Charles Neville (des mythiques
Neville Brothers de La Nouvelle-Orléans) à la réception de l’album
envoyé par l’intermédiaire d’un ami poète activiste habitant
dans le Maine. Pour aboutir à un concert à Portland autour d’un
synopsis écrit par Mélanie de Biasio dans un rôle de chef
d’orchestre qui lui va comme un gant. De velours.
Mélanie
de Biasio CD
: No
Deal (Pias).
En concert le 27 novembre au Centre culturel italien, 73, rue de
Grenelle, 75007. Puis le 19 décembre au New Morning,
7-9, rue des Petites-Ecuries, 75010.
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